Les fonds philanthropiques peuvent-ils capitaliser sur les énergies fossiles?

Par Caroline Bergeron , Directrice du Hub Québec
05 juin 2019

philanthropie énergies fossilesLe premier devoir des responsables d’un fonds patiemment constitué au fil des ans par des efforts répétés en collecte de fonds auprès de donateurs est simple : s’assurer d’un rendement à long terme tout en préservant le capital. Bref, une gestion conservatrice s’impose, et les sommes confiées par les donateurs ne doivent en aucun cas être mises à risque, même devant la promesse d’un rendement supérieur à court terme. Toutefois, qui dit gestion conservatrice, dit également placements dans des entreprises rentables et établies.

Les pétrolières font partie de ces entreprises établies et rentables mais elles sont également au cœur d’un affrontement pour la sauvegarde de l’équilibre écologique de l’humanité. Dans la foulée de l’engagement pris par plusieurs pays de réduire l’utilisation des énergies fossiles d’ici 2050 afin de contrer le réchauffement de la planète, investir dans ce secteur devient non seulement une aberration mais s’en retirer devient une stratégie environnementale, sociale et digne d’une bonne gouvernance.

Selon le Guardian, en 2015 plus de 220 institutions à travers le monde enclenchaient leur retrait des énergies fossiles. Parmi elles, des fonds de pension, des fondations philanthropiques, des organisations religieuses, des municipalités et des universités. Loin devant, les organisations religieuses dament le pion aux institutions philanthropiques avec 29% des retraits contre 17% pour les fonds philanthropiques. Fait intéressant, une coalition de fondations philanthropiques, incluant la Rockefeller Brothers Foundation dont la fortune s’est bâtie sur le pétrole, ont débuté leur retrait des énergies fossiles en 2014.

Quelle position pour les universités?

La première université européenne à se retirer des énergies fossiles est la Glasgow University (octobre 2014) et la plus importante est la Syracuse University aux États-Unis. Au Canada, c’est l’Université Laval qui, la première (février 2017), a pris un engagement formel pour se retirer des énergies fossiles. À l’automne 2017, c’est au tour de l’Université d’Ottawa de dévoiler sa stratégie de retrait progressif vers des énergies renouvelables. Au même moment, l’UQAM dévoile que le conseil d’administration de sa Fondation vendra la totalité des stocks placés dans l’industrie fossile. De plus, il est formellement statué que le capital de la fondation ne pourra plus jamais être investi dans ce secteur à l’avenir. Ces prises de positions sont importantes mais rappelons que ces annonces portent uniquement sur les fondations de ces établissements, et non sur les capitaux des fonds de retraites, souvent beaucoup plus importants.

La route est longue pour arriver à un consensus auprès des universités qui résistent à la tendance. Leurs arguments pour ne pas retirer leurs fonds se basent essentiellement sur une vision à court terme. Plusieurs pensent qu’elles pourront mieux influencer les stratégies des pétrolières en restant actionnaires et en prenant part aux décisions grâce à leurs votes. Pour l’instant, les universités estiment que le problème des énergies fossiles est principalement la consommation globale et que, retirer leur pécule n’aurait aucun effet puisque d’autres investisseurs, moins moraux, prendraient le relais. Cet argument souligne le besoin important de stabilité financière des universités plus que leur courage et l’alignement de leur gouvernance sur les enseignements qu’elles prônent en matière d’écologie. Une telle attitude sous-estime la valeur symbolique du discours universitaire par rapport à celui des individus. On a pourtant déjà assisté à des réussites humanitaires basée sur le retrait d’investissements financiers d’activités immorales ou dangereuses et les universités devraient s’en inspirer.

Le retrait des fonds des entreprises qui encourageaient la ségrégation raciale en Afrique a mené à la fin de l’Apartheid comme cadre social. Le boycott des entreprises favorables au régime politique du Darfour, ou liées aux produits du tabac ont démontré le succès global de cette stratégie. Bientôt, probablement, celles qui s’enrichissent avec les opioïdes sans encadrement responsable en connaîtront les conséquences.

Il est de la responsabilité de la philanthropie d’adopter une posture cohérente face aux idées qu’elle défend et d’user de son influence en hauts lieux, comme dans nos universités, pour accomplir son objectif ultime : l’atteinte et la pérennité d’un meilleur équilibre humain.