L’AMDI d’hier à aujourd’hui

Par Renaud Judic , Étudiant du PhiLab
29 novembre 2018

L’Association de Montréal pour la déficience intellectuelle (AMDI), plus vieille association en déficience intellectuelle à travers le Canada, offre, 83 ans après sa création, des services auprès des personnes qui vivent avec une déficience intellectuelle, mais aussi de leurs familles ou plutôt, « des proches aidants ».

La reconnaissance et le financement des organismes communautaires sont un enjeu majeur au Québec comme ailleurs. Dans un contexte politique et social en constant changement, les organismes communautaires doivent user de stratégies pour assurer le maintien de leurs services. Les organismes communautaires œuvrant auprès de personnes vivant avec une déficience intellectuelle n’échappent pas à la règle. Face à un désengagement grandissant de l’État dans les services offerts aux personnes vivant avec une déficience intellectuelle et des coupes budgétaires importantes, les organismes communautaires ont un rôle clé dans le maintien de leurs services auprès de ces personnes. Cependant, ces organismes sont sujets aux dures lois d’un financement souvent instable, ne leur permettant pas toujours de maintenir leur niveau de service au meilleur point. Le secteur entourant la philanthropie est challengé en permanence et les organismes communautaires doivent continuer d’offrir leurs services malgré ces dures réalités, car s’ils disparaissent, les personnes vivant avec une déficience intellectuelle n’auraient alors plus de services. Une étude récemment sortie par la firme Épisode fait état de la philanthropie au Québec, en 2020. Si le nombre de donateurs privés diminue, le don moyen reste le même et augmente même dans certains cas. Mais nous notons une différence majeure des comportements en matière de dons selon les générations.

L’Association de Montréal pour la déficience intellectuelle (AMDI) a quant à elle un financement varié pour être en mesure de diversifier ses sources de revenus. Financé en partie par le Programme de Soutien aux Organismes Communautaires (PSOC) et par des organismes comme Centraide, le financement se divise selon les programmes financés qu’offrent certains organismes ou fondations. Le financement par programmes est aussi un moyen concret d’obtenir du financement selon un projet spécifique de l’association. Dans le cadre de ses activités de répits auprès des proches aidants par exemple, l’AMDI est soutenue par la Fondation de la Fédération des Médecins Spécialistes du Québec (FFMSQ) qui s’est donné comme mission de soutenir la cause des proches aidants. L’AMDI tient beaucoup au financement privé en comptant sur le soutien de nombreux donateurs individuels ou entreprises, lors de ses événements de collecte de fonds. Malgré une volonté de collaboration et le côté péjoratif d’une « compétition » dans le secteur communautaire, les organismes appliquent parfois pour les mêmes demandes de subvention, demandent des soutiens financiers aux mêmes entreprises, fondations et s’adressent au même bassin global de donateurs. C’est pourquoi il est essentiel de diversifier au maximum ses sources de financement en allant à la fois chercher des subventions publiques, mais aussi du financement privé en faisant preuve d’innovation et de recherche constante.

Un peu d’histoire

C’est en 1935 que l’Association de Montréal pour la déficience intellectuelle voit le jour. Des parents majoritairement anglophones, ayant des enfants vivant avec une déficience intellectuelle, prennent leur situation en mains, se regroupent et créent des écoles qu’ils financent eux-mêmes, aidés d’activités de collectes de fonds. C’est sous le nom de School for handicapped childrenque l’AMDI commence à offrir des services.

Dans la société québécoise de l’entre-deux-guerres, les personnes qui vivent avec une déficience intellectuelle sont marginalisées. Placées dès leur enfance sous la protection des communautés religieuses, dans des crèches et des orphelinats, puis internées dans de grandes institutions pour malades mentaux, la majorité des personnes ayant une déficience intellectuelle sont isolées et ne bénéficient d’aucun service ou traitement adapté à leur condition. Exclues du réseau scolaire régulier, le seul savoir qui leur est accessible passe par les quelques communautés religieuses qui ont fait le choix d’offrir des services de rééducation à l’intérieur des institutions existantes. Il faut attendre 1952 pour assister à la création d’une première école anglophone à Montréal. À cette époque, les personnes vivant avec une déficience intellectuelle quittent, leur lieu d’internement, les hôpitaux psychiatriques, et sont orientées vers des ressources institutionnelles plus appropriées et moins contraignantes. Certaines ont ainsi pu retrouver leur milieu familial ou ont joint la communauté. À cette époque le nom de l’organisation change pour devenir l’Association de secours pour enfants arriérés inc., une appellation qui caractérise bien les mentalités de cette époque.

Petit à petit, le processus de désinstitutionnalisation s’étend et les mentalités évoluent. À partir des années 1960, une plus grande place est faite aux personnes ayant une déficience intellectuelle. Ainsi, les universités, au sein des départements de psychologie et de service social, développent des approches afin de se préoccuper de l’évaluation de l’enfant, de leur adaptation scolaire, de placement et des relations familiales. Là aussi, le nom de l’organisation change pour devenir au début des années 1960, l’Association de Montréal pour les déficients mentaux.

Les années 1971 et 1972 marquent un tournant sur la perception et les droits des personnes qui vivent avec une déficience intellectuelle : tant à l’échelle internationale qu’au Québec. En 1971, l’ONU proclame la Déclaration des droits du déficient mental et c’est un an après qu’est instaurée la loi sur les services de santé et les services sociaux pour que soit créé au Québec un véritable réseau public des centres de réadaptation pour personnes ayant une déficience intellectuelle.

Porté par la volonté et le travail de parents de personnes vivant avec une déficience intellectuelle, l’AMDI se dote, en 1980, d’un service de soutien à la famille. Ses objectifs sont clairs : soutien, intervention, support, information sur les ressources existantes, éducation, surveillance, données statistiques, promotion et formation. C’est en 1987, que l’appellation Association de Montréal pour la déficience intellectuellevoit le jour. C’est au tournant des années 1980 et 1990 que des regroupements d’associations en déficience intellectuelle se forment. L’AMDI participe au développement des comités pour la défense des droits et la concertation. Elle en profite aussi pour développer ses activités, camps de vacances et voyages notamment.

Depuis le début des années 2000, l’AMDI continue de développer ses services auprès des personnes ayant une déficience intellectuelle. De nos jours l’AMDI a comme mission de favoriser la participation sociale des adultes vivant avec une déficience intellectuelle. Si les activités directes, auprès des adultes vivant avec une déficience intellectuelle, se maintiennent et évoluent, l’AMDI entreprend de développer le pôle soutien à la famille.

Tout au long de son existence, l’AMDI n’a eu de cesse de sensibiliser la société à la cause de la déficience intellectuelle en suivant les évolutions de la société québécoise. Ce travail quotidien n’est jamais acquis et se poursuit en 2018. Aussi, quelques petites précisions sont de mise lorsque l’on parle de la déficience intellectuelle.

Démystifier la déficience intellectuelle

Nous pourrions parler de déficience intellectuelle et évoquer la définition du DSM-5, manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (en anglais Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders) de l’Association Américaine de Psychiatrie, mais nul besoin de le faire pour mettre de l’ordre dans les préconçus au niveau de la déficience intellectuelle.

Commençons tout d’abord par différencier la déficience intellectuelle des troubles de santé mentale. S’il est vrai, que certaines personnes ont un double diagnostique, la déficience intellectuelle n’est pas une maladie mentale ! En effet, la déficience intellectuelle réfère à la capacité d’apprendre et de traiter l’information alors qu’un problème de santé mentale réfère à des processus qui bouleversent la pensée et les émotions. Aussi, la déficience intellectuelle renvoie au quotient intellectuel et aux comportements adaptatifs. À l’inverse, un problème de santé mentale n’a rien à voir avec le quotient intellectuel.

Le vocabulaire utilisé est tout aussi important puisque la déficience intellectuelle n’est pas une maladie, mais un état permanent qui apparait avant l’âge adulte. De fait, on n’en guérit pas et il n’y a pas de médication, contrairement aux troubles de santé mentale. Ici, le caractère permanent de la déficience intellectuelle est important. Une personne ayant une déficience intellectuelle peut, tout au long de sa vie, développer des habiletés et acquérir de l’autonomie. Il n’en reste pas moins que le caractère immanent de la déficience intellectuelle va impacter l’accompagnement des familles envers leurs proches, et ce, tout au long de leur vie.

Le caractère permanent de la déficience intellectuelle est prépondérant tant au niveau de la réflexion sur les services offerts ou à offrir que sur les processus visant à sensibiliser le grand public à cette réalité.

Les familles au cœur des activités de l’AMDI

En quoi le caractère permanent de la déficience intellectuelle a-t-il un impact majeur sur les proches aidants ?

Comme pour chaque individu, une personne vivant avec une déficience intellectuelle aspire à vivre de manière autonome. Elle désire avoir son appartement. Elle veut un travail et désire s’engager dans des relations amoureuses, etc. Malgré ses désirs, les acquisitions des habiletés nécessaires à une vie autonome ne suivent pas forcément cette volonté. À l’âge de 21 ans, la réalité juridique fait basculer ces personnes vers une totale autonomie alors que dans les faits, ces nouveaux adultes n’ont pas tous les outils pour le faire et bon nombre d’entre eux ne peuvent pas quitter le cocon familial.

Cette réalité est d’autant plus contraignante que les places dans les ressources sont comptées. Dès lors, une majorité de familles membres de l’AMDI se retrouve devoir assumer la garde de leur enfant de manière quasi permanente. Ainsi, il n’est pas rare de voir des membres âgés de plus de 50 ans vivre encore chez leurs parents. Des membres vieillissants donc, mais aussi des parents qui vieillissent et qui, pour certains, sont âgés de 80 ans et plus. Toute leur vie, ils auront eu la charge de leur enfant à domicile. Ce sont donc des familles fatiguées, épuisées moralement et financièrement qui viennent chercher du répit ou du soutien pour exercer au mieux leur parentalité.

Il n’est pas rare, dans un couple ayant un enfant qui vit avec une déficience intellectuelle, que l’un des deux parents sacrifie sa carrière pour pouvoir s’occuper de leur enfant. L’univers des familles s’en trouve bouleversé, le nombre de familles monoparentales qui en découle en est l’illustration.

Via le pôle soutien à la famille, l’AMDI soutient les proches aidants en leur offrant des activités qui viennent directement répondre aux enjeux qu’ils vivent. Conférences, formations, accueil et référence, les familles y expriment leur réalité et le personnel de l’association tente d’y répondre. Ce pôle est actuellement en plein développement à l’AMDI. Il vise à offrir aux proches aidants le soutien et les outils dont ils ont besoin.

C’est aussi à travers le pôle – éducation à l’autonomie– destiné aux membres qui vivent avec une déficience intellectuelle que les familles viennent chercher du soutien en bénéficiant de répit, notamment dans le cadre des séjours extérieurs.

Chaque été, l’AMDI offre la possibilité à ses membres de partir une semaine en camps de vacances à l’extérieur de Montréal. C’est un programme très populaire et les proches aidants sont en demande de périodes de répits à un tarif accessible. Pour certaines familles, c’est la seule semaine de l’année où ils seront séparés de leur enfant. Ce moment privilégié leur permettra de recharger les batteries pour mieux affronter le quotidien.

En dehors de l’été, l’AMDI organise des fins de semaine plein air, du vendredi soir au dimanche soir. Ces moments de répit sont très appréciés par les familles comme le montre ce témoignage de Blanche Blain, mère de Lyne Blain membre de l’AMDI vivant avec une déficience intellectuelle.

 

RJ : Pouvez-vous vous présenter ?

Moi c’est Blanche Dufour-Blain, j’ai 90 ans.

RJ : Vous vivez toujours chez vous ?

Dans ma maison, avec Lyne (sa fille ndlr)

RJ : Quel âge à Lyne ?

Elle a 56 ans.

RJ : Comment se passe la vie de tous les jours avec Lyne ?

Pour moi, c’est toujours la même chose, depuis qu’elle est toute jeune. Quand elle s’en va pour aller à ses stages, faut toujours regarder si elle s’est habillée comme il faut, après ça, faut lui faire son lunch, fait que faut le faire pour quatre jours. Lundi, mardi, mercredi, jeudi, je suis toute seule dans la journée, elle revient à 15h, fait que…

RJ : Pour les tâches de ménage du quotidien, est-ce qu’elle aide un peu ?

Elle fait sa chambre tous les matins, ça, c’est attendu…et puis elle prend son bain toute seule, elle se lave toute seule, elle fait sa toilette toute seule.

RJ : Aimeriez-vous avoir des moments de répit tout au long de la semaine ?

C’est les fins de semaine, parce qu’elle ne travaille pas le vendredi, c’est pour ça que je l’envoie aux arts (Exploration artistique, atelier de l’AMDI). Faut sortir…des fois des fins de semaine, ça ne me tente pas de sortir, mais je fais un effort pour sortir avec elle. Après ça, c’est pour ça qu’elle a une chance d’aller au camp de fin de semaine, je lui paye son camp.

RJ : Vous en profitez pour faire quoi ?

Pour me reposer ! Pis des fois, replacer des choses, parce que…toute seul dans la maison, quand elle est avec moi, je peux pas dire, je vais faire ma garde-robe, des affaires de même. Fais que lorsqu’elle part les fins de semaine, j’en profite pour mettre tout en ordre dans la maison, puis aller m’habiller !

Parce que c’est elle qui faut aller habiller, je n’ai jamais la chance de m’habiller.

RJ : Quand vous dîtes, vous habillez ?

Acheter des chandails, des pantalons, des bottes pour l’hiver … Tu as toujours du linge à t’acheter.

RJ : Est-ce que vous avez beaucoup d’aide ?

À ça oui, quand je vais magasiner c’est Louise (seconde fille) qui conduit mon auto. Fais qu’on peut aller plus loin parce que moi les commissions que je fais avec mon auto, c’est aller faire le marché puis les affaires alentours, mais quand faut aller s’habiller, les centres d’achats comme à Laval, tout ça, mais là Louise elle vient avec moi.

RJ : Avez-vous quelque chose à ajouter?

Pourvu que j’ai de l’aide, des subventions pour m’aider à payer les camps parce qu’ils ne sont pas donnés les camps !

Ce témoignage nous montre la réalité d’une mère, qui à 90 ans, a encore à charge sa fille de 56 ans, Lyne, qui a besoin d’aide et d’accompagnement sur de nombreux aspects de la vie quotidienne. Pour elle que signifie le répit ? Ça sert pas mal au repos et à la conduite de certaines tâches essentielles. Et ceci est le témoignage représentant une seule situation. Multiplions cela par 82 000, le nombre de personnes vivant avec une déficience intellectuelle au Québec. Ceci nous permet de mesurer l’ampleur du besoin de soutien aux proches aidants.

 

L’AMDI a encore de beaux jours devant elle

La mission de l’AMDI va se poursuivre tant qu’il y aura des proches aidants mobilisés pour développer les services offerts aux personnes ayant une déficience intellectuelle. Il y aura toujours des personnes qui vivent avec une déficience intellectuelle et des besoins associés qui se feront sentir tout au long de leur vie. Comme nous avons vu, la déficience intellectuelle est un état permanent, ce sont donc des besoins pour les enfants, les jeunes adultes et les aînés vivant avec une D.I. qui se manifestent. Et à chaque étape de la vie, ces personnes auront dans la majeure partie des cas, des proches aidants derrière eux, pour s’assurer de leur bien-être, mais aussi et surtout de leur bonheur.

Soucieuse de la qualité de ses services envers ses membres, l’AMDI tente de réponse aux besoins variés des adultes vivant avec une déficience intellectuelle et de leurs proches. La volonté de restructurer le pôle soutien à la famille pour l’année 2019 permettra à cette association de plus de 83 ans d’existence de se reconnecter avec ses origines.

 

Pour aller plus loin

https://www.sqdi.ca/fr/sinformer/recherches-et-etudes/

  • Ouvrage sur la déficience intellectuelle :

Martin, J-F. (2018).  Déficience intellectuelle : Concepts de base, 3è édition