Le devoir philanthropique de mémoire : vers une gestion éclairée, prévoyante et durable de l’information

Par Jean-Marc Fontan , Co-directeur du PhiLab
02 avril 2024

En réfléchissant aux prochaines phases de développement de notre Réseau de recherche partenariale, la question de l’archivage de nos documents – rapports de recherche, nos éditions spéciales, nos documents audio et vidéo – fut posée. Combien de temps ces documents doivent demeurer actifs, que faire avec ceux qui sont inactifs, que conserver et quoi disposer ? En d’autres mots, fut posée la question de la mise en mémoire, non seulement de notre jeune histoire, mais surtout celle des organisations partenaires avec lesquelles nous travaillons, et, plus largement, l’histoire des composantes des écosystèmes philanthropiques canadien et québécois.

L’idée de consacrer un numéro à l’enjeu de la « gestion de l’information active » et de la mise en mémoire des documents dits « passifs » a découlé de cette réflexion. Nous avons rapidement pris contact avec plusieurs fondations partenaires et des professionnel·le·s de l’archive et découvert un monde fascinant.

Cette édition spéciale aborde donc le thème de la gestion de l’information sous différents angles dans l’optique de générer une conversation élargie sur ce thème. Indirectement, nous posons la question de l’importance de la gestion de l’information et de l’archivage pour les fondations canadiennes?

Les premières fondations et organisations philanthropiques québécoises ont été fondées au cours du premier tiers du 20e siècle. Bien que ce type d’organisations existe depuis plus d’un siècle, force est de constater que leur rapport à la gestion de l’information est encore « artisanal ». Peu ou pas de fondations ont une pratique d’archivage et peu sont réellement dotées d’une politique claire en matière de gestion de l’information.

 

La gestion de l’information un enjeu de taille

Pourtant, être bien informé, avoir accès à de l’information de qualité, réduire l’impact de la désinformation ou de la mésinformation, sont des éléments clés pour assurer une démocratie en santé et établir des conditions gagnantes pour une société plus égalitaire.

À cet égard, toutes les organisations et institutions philanthropiques ont des devoirs et des responsabilités en matière de mise en mémoire de leur histoire et aussi de bonne gestion de l’information. Tant celle qu’elles génèrent au jour le jour que l’information qu’elle utilisent en lien avec l’écosystème relationnel entourant leurs activités.

Afin d’aller dans cette direction, il importe de bien connaître les cadres législatifs en vigueur relativement à la gestion globale de l’information :

Aller dans cette direction bénéficie grandement d’une gouvernance de l’information.

La gouvernance de l’information est un cadre de gestion des ressources informationnelles. Il assoit les responsabilités des différents intervenants à l’aide de principes généraux afin d’assurer une gestion efficiente de l’information et d’en extraire le plein potentiel au bénéfice de l’organisation[1].

Pour une fondation philanthropique, être attentif à une bonne gestion de l’information et au besoin de mettre en mémoire les documents passifs s’inscrit dans la mise en place d’une politique précisant les modalités globales de gestion globale de l’information.

Gartner définit la gouvernance de l’information comme un cadre de responsabilité assurant un comportement approprié dans la création, l’évaluation, l’utilisation, l’archivage, la suppression et le stockage des informations. Ce concept inclut les normes et des statistiques, les rôles et des politiques, ainsi que les processus requis pour garantir une utilisation pertinente de l’information et permettre aux…[organisations] d’atteindre leurs objectifs[2].

 

Ibid, p. 11.

Ibid, p. 11.

 

Quels avantages à bien « considérer et gérer » l’information ?

L’information est une ressource vitale pour assurer le bon fonctionnement de toute organisation. Dès lors, elle se présente comme une composante essentielle de la gouvernance globale de l’organisation. Selon Gartner[3] (2009, p. 3)

Les objectifs généraux de la bonne gouvernance sont d’améliorer la rapidité et l’efficacité des décisions et des processus (efficience), de faire une utilisation maximale de l’information en termes de création de valeur, et de réduire les coûts et les risques pour l’entreprise ou l’organisation.

Une bonne gestion de l’information est partie prenante de la culture organisationnelle d’une fondation dont la responsabilité incombe à toutes les composantes de l’organisation.

D’une petite à une grande fondation, cette responsabilité se répartie entre :

  • les ressources internes : le conseil d’administration, et ses ramifications en comités de travail, à l’équipe professionnelle (de réduite (une à trois personnes) à taille moyenne (de quatre à une douzaine de personnes) ou plus importante (plus de douze personnes); et,
  • les ressources externes : relativement aux documents provenant d’organisations partie prenante du réseau opérationnel et relationnel de la fondation.

Bien gérer l’information à sa disposition requiert des compétences spécifiques afin penser les processus appropriés. Le recourt à une ressource externe – via l’utilisation d’une personne stagiaire d’un programme collégial ou universitaire, d’un·e professionnel·le à son compte ou encore d’une firme spécialisée – est sérieusement à considérer afin de ne pas limiter cette opération à une fonction purement informatique. Comme l’indique Hagmann[4] (2015, p. 29),

La gouvernance informatique assure les risques et la conformité de l’architecture, des systèmes et des infrastructures informatiques, mais elle n’est pas concernée par la façon dont l’information est créée, utilisée et éliminée de manière à ajouter de la valeur à une entreprise.

Pour que l’information ajoute de la valeur à une fondation, il importe de considérer le cycle de vie de l’information dans son ensemble et de travailler de façon simplifiée les grands moments de ce cycle à l’aide des outils et procédures les plus appropriés. Quatre grands moments permettent de présenter de façon schématique le cycle de vie de l’information[5].

  • La création des données et leur document support: mise en forme des données.
  • L’organisation et l’utilisation des données : procédures en vue d’organiser les données et de les classifier.
  • La protection et la gestion des données : différentes opérations en vue d’assurer l’authenticité et l’intégrité des documents, d’un côté, et, d’un autre côté, leur fiabilité et leur utilité pour les durées requises. Ceci implique donc d’établir un calendrier définissant les délais d’utilisation et leur statut : donnée ou document actifs, semi-actifs ou inactifs.
  • La conservation et l’élimination: les documents sont conservés en fonction de leur statut et il y aura éventuellement élimination de données ou de documents et archivage d’un nombre plus ou moins grand de données et de documents en fonction de la politique d’archivage établie et des types de documents (numériques ou physiques) à archiver (archives) ou à conserver (musée).

 

Pourquoi archiver ?

Différents motifs ou raisons sont évoquées pour archiver des documents.

  • Afin de mieux comprendre les réalisations passées, les rôle joués, l’impact mesuré, la place occupée d’une organisation aux différentes étapes de son cycle de vie.
  • Cela permet d’enrichir nos connaissances historiques afin que l’Histoire ne devienne pas une représentation partielle reposant uniquement sur la mémoire de grandes organisations et de grands acteurs sociaux.
  • Pour une fondation, les archives informent sur son contexte d’émergence et de développement. Cela permet de ne pas oublier l’origine de la richesse à la disposition de la fondation et d’être transparent relativement aux sources de sa dotation.
  • L’archivage se présente aussi comme un outil informatif sur la trajectoire identitaire et opérationnelle d’une fondation. Une bonne connaissance du contenu des archives est une source incontournable pour assurer le bon fonctionnement d’une fondation. Un retour sur cette trajectoire met en lumière les bons coups passés et des erreurs qui ont marqué son évolution. Cela permet aussi de suivre sa trajectoire innovante.
  • Cette source d’information historique sera d’autant plus riche qu’elle comportera des récits relatés par les fondateurs-trices ou des personnes représentantes des différentes parties prenantes de l’écosystème de la fondation.

 

Quels sont les obstacles à l’archivage ?

  • Le changement de plateforme de gestion des documents (google vers Microsoft par exemple).
  • La rotation du personnel: perte de la mémoire vive et de savoir où se trouve quel document.
  • L’évolution de la technologie: ancienne technologie mis de côté: perte de connaissances et d’information
  • La complexité de l’arborescence: comment organiser les documents, des processus intuitifs propres au travail fait au quotidien.
  • La gestion des documents physique: trouver les bonnes modalités pour en assurer le maintien.
  • L’embauche d’un professionnel en archivage engendre des coûts, donc c’est restrictif mais nécessaire pour l’efficacité du processus.
  • Un processus décisionnel contraignant réalisé en fonction de question simples : quoi garder, comment penser un système de classification efficace et simple, trouver un équilibre entre les motifs rationnels et émotifs de conservation de données ou de documents ?
  • Ne pas avoir de personne dédiée à la tâche de veiller à la mémoire institutionnelle
  • Il n’y a pas vraiment d’obligation formelle en matière légale à l’archivage de données propres aux fondations » Il n’y a rien allant en ce sens dans la Loi canadienne sur l’impôt en lien avec les organismes de bienfaisance.

 

Conseils, outils et pistes de travail, sur recommandation de la présidente de l’Association des archivistes du Québec

Les archivistes sont des professionnel·le·s de l’évaluation, du traitement (classification, description et indexation), de la préservation, de la diffusion des informations et de l’archivage. Notre définition d’archives comprend :

… l’ensemble des documents produits ou reçus, quel que soit leur date ou leur nature [papier, numérique, audiovisuel, photographique, etc.] par une personne ou un organisme pour l’exercice de ses activités et conservés pour leur valeur d’information générale. (Loi sur les archives, article 2).

Ainsi, ils peuvent accompagner les organismes dans l’inventaire, l’organisation et la description de leurs archives, évaluer la valeur des archives afin de trier celles-ci et préserver ceux qui ont une valeur patrimoniale, élaborer et appliquer un plan d’action pour la préservation des archives, accompagner les organismes dans la diffusion de leurs archives (numérisation, exposition, bonification de pages Wikimédia, etc.) Ils peuvent également faciliter la gestion des connaissances et la sauvegarde de la mémoire organisationnelle. Finalement, par leur travail, ils peuvent faciliter l’accès à l’information et la protection des renseignements personnels (Loi 25) d’une organisation.

Les fondations qui souhaitent recevoir de l’aide professionnelle dans l’inventaire, le traitement et la préservation de leurs archives peuvent procéder ainsi.

  • Publier une offre d’emploi sur notre site web (nous écrire au infoaaq@archivistes.qc.ca) ou contacter les milieux d’enseignements pour recevoir des stagiaires (supervisés par un professionnel) (vous trouverez la liste des institutions d’enseignements et un aperçu général des tâches d’un technicien et d’un professionnel dans le domaine ici : Devenir archiviste | Association des archivistes du Québec).
  • Faire appel à une entreprise privée dans le domaine (rechercher les termes « services gestion documentaire », « services archives »).
  • Faire appel à un centre d’archives privés de leur région offrant des services conseils professionnels ou https://rsapaq.com/services/.

Nous offrons également sur notre site web des publications qui peuvent être utiles aux personnes et organismes: 

 

Conclusion

La mobilisation de connaissances qui a accompagné la production de cette édition spéciale nous montre le déficit de pratiques exemplaires en matière de bonne gestion de l’information et d’archivage des documents passifs des fondations canadiennes et québécoises.

À l’exception de quelques fondations avant-gardistes, peu d’organisations philanthropiques disposent de politiques à cet égard et y consacrent des ressources spécifiques.

Nous lançons donc un appel auprès de la communauté des fondations subventionnaires afin qu’elles partagent avec nous leur expérience en matière de gestion stratégique de l’information et d’archivage de leurs documents historiques.

 

Arborescence de l’information

Arborescence de l’information

 

Notes de bas de page

[1] Cadre de gouvernance de l’information, Québec, Assemblée nationale, 2023, p. 6.

[2] Voir : https://www.veritas.com/fr/ca/information-center/what-is-information-governance

[3] Gartner (2009). Toolkit: Information Governance Project, April 2009, www.gartner.com/id933912.

[4] Hagmann, J. (2015). Gouvernance de l’information, véritable innovation dans la gestion de l’information ?, Cahiers du numérique, vol. 11, n. 2, p. 15 à 36.

[5] Nous nous inspirons ici de l’information présentée sur le site gouvernemental manitobain suivant : https://www.gov.mb.ca/chc/archives/gro/recordkeeping/managing.fr.html.