Collectif des fondations québécoises – réponse invitée au billet d’opinion d’Adam Saifer

04 octobre 2020

collectif des fondations québécoises

 

Le Collectif des fondations québécoises contre les inégalités est un réseau de travail et de vigilance qui s’intéresse au rôle de l’État et de la philanthropie pour lutter contre les inégalités. Il regroupe une quinzaine de fondations publiques et privées de tailles, de capacités et d’expressions différentes.  

 

 

Le 23 septembre 2020

En 2020, le sujet des inégalités n’échappe plus à l’attention de personne. La pandémie a révélé, exploité et exacerbé les inégalités existantes de santé, de revenu et de condition sociale – inégalités qui s’étaient créées et creusées au fil des dernières décennies avec des réformes de la fiscalité et le rétrécissement de l’État social. 

Il est vrai, comme l’indique Adam Saifer dans son billet, que le contexte actuel révèle et rappelle les limites de la philanthropie à combattre ces inégalités. Le Collectif des fondations était déjà persuadé de ces limites bien avant ce contexte actuel. Depuis ses débuts en 2014-15, le Collectif maintient que l’État est et doit demeurer l’acteur central de tout effort d’envergure pour réduire les inégalités sociales et économiques. 

La double crise socio sanitaire et économique que nous traversons le démontre bien : seuls nos gouvernements disposent de leviers qui leur permettent d’intervenir rapidement et à grande échelle pour protéger la santé des populations et pour aider leurs citoyens à traverser la période d’arrêt économique imposée par la pandémie. Prises ensemble, les mesures publiques introduites depuis le printemps agissent sur un grand nombre de facteurs économiques et sociaux, lesquels exercent à leur tour une influence sur le niveau des inégalités sociales et économiques.

En temps de mobilisation de crise comme en temps « normal », les fondations philanthropiques n’ont ni les moyens ni les compétences de l’État pour réduire les inégalités. Dans l’exercice de leur rôle singulier et distinct de celui de l’État, nous sommes de l’avis que l’apport des fondations peut être complémentaire en matière de lutte contre les inégalités. Grâce à leur indépendance, les fondations peuvent : occuper une fonction de « recherche et développement » social et susciter l’innovation; donner une voix et une visibilité aux groupes plus en marge de l’attention publique; porter une vision à long terme et assurer une constance dans l’action afin de s’attaquer à des problèmes sociaux complexes et multidimensionnels; et soutenir l’autonomie et les capacités d’intervention de la société civile dans ce domaine, et notamment sa capacité de plaidoyer et de participation au débat public.

Un consensus social se dégage en faveur du rôle accru que l’État doit assumer pendant et après la crise. L’opinion publique serait favorable à une fiscalité plus progressive pour que les gouvernements soient en mesure de financer les interventions à maintenir ou celles à mettre en place. Au Collectif des fondations, nous nous étions déjà exprimés en faveur d’une fiscalité progressive, reconnaissant qu’elle constitue un des outils de redistribution les plus puissants dont disposent les gouvernements. 

À partir de cette position, en faveur d’une fiscalité progressive, les fondations membres du Collectif ont entrepris une réflexion sérieuse sur les postures les plus cohérentes à promouvoir pour la philanthropie. 

Nous reconnaissons que la philanthropie n’existe pas isolément de son contexte politique et économique. Nous croyons, avec Helmut Anheier, que la philanthropie moderne ne pourra pas se maintenir en l’absence d’une fiscalité équitable. Sans elle, la population ne s’empêchera pas d’associer la croissance du nombre des fondations philanthropiques à la croissance des inégalités de revenus et de richesse.

Les fondations bénéficient elles-mêmes de privilèges fiscaux, dont l’exemption d’impôt de leurs revenus et de leurs actifs et un régime d’incitatifs fiscaux au don de bienfaisance parmi les plus généreux au monde. Dans ses grandes lignes, ce système de dispensations fiscales en vigueur au Canada reflète la volonté partagée de nombreux segments de la société de reconnaître, valoriser et encourager les contributions privées au bien public. La question demeure : comment concilier les privilèges fiscaux qui favorisent la création et le maintien des fondations et des fonds de dotation avec notre souhait que l’État se serve de leviers fiscaux pour réduire les inégalités?

D’abord, cela nous amène à reconnaître et à affirmer que l’action des fondations est légitimement d’intérêt public, car les dispensations fiscales dont elles bénéficient représentent une forme de soutien public indirect à leurs activités. Il fait sens que les fondations cherchent à faire la démonstration de leur contribution réelle au bien commun ; à rendre compte de leur action auprès du public et auprès des communautés desservies et affectées, et à faire preuve d’un engagement continu à améliorer l’impact et la cohérence de leur action.

Comme presque toutes les fondations au pays, nous demeurons très sensibles à l’acuité des besoins qui se sont présentés dans le contexte de la crise actuelle et avons intensifié nos efforts. Parmi nos membres, les plus grandes fondations capitalisées se sont d’ailleurs engagées à augmenter le pourcentage de leurs décaissements (des fonds disponibles pour les dons) pendant une période de plusieurs années

Mais le fait de dépenser plus, que ce soit volontaire ou imposé par des réformes législatives ou réglementaires, ne garantit pas en soi une contribution utile à la lutte contre les inégalités. En tant que fondations qui souhaitent combattre les inégalités, les membres du Collectif ont identifié certains engagements à prendre pour accroître la cohérence et l’impact de leur action dans ce domaine. 

Cela inclut l’obligation de reconnaître et de tenter de réduire leur propre « empreinte inégalités » en tant que fondations. D’une part, il y a lieu de reconnaître comment l’autonomie et les ressources des fondations se traduisent en pouvoir d’influence, pouvoir qui est parfois concentré entre les mains de quelques donateurs, et qui se fait ressentir auprès des communautés desservies, au sein de réseaux de partenaires, voire sur des domaines d’action entiers.

Pour réduire cet aspect de leur ‘empreinte inégalités’, les membres du Collectif s’encouragent à adopter des pratiques afin de distribuer ce pouvoir et de mieux le mettre au service des communautés qui mènent des efforts pour transformer les conditions qui les excluent et les marginalisent. Ils peuvent notamment viser à démocratiser les pratiques internes pour donner plus de droit de regard à ces groupes sur les décisions qui les concernent, mais ils peuvent aussi enligner leurs actions de soutien sur l’objectif plus global d’accroître le pouvoir d’agir et l’influence sociale et politique des bénéficiaires.

L’empreinte inégalités des fondations concerne aussi la gestion de leurs fonds de dotation. Les fondations membres du Collectif souhaitent se mettre au défi de viser une empreinte inégalités neutre ou négative à travers la gestion de leur capital, en choisissant d’investir pour soutenir des pratiques économiques ou sociales qui atténuent ou qui réduisent les inégalités

Nous espérons que d’autres fondations verront aussi l’intérêt d’adopter des pratiques qui visent à réduire leur « empreinte inégalités ». Si, ensemble, nous arrivons à démontrer une action cohérente et assumée en matière de lutte contre les inégalités, nous pourrons nous sentir confiants de faire une contribution distincte à ce grand chantier qui interpelle tant la philanthropie qu’un ensemble d’autres acteurs sociaux et économiques. 


 

Ce billet est en réponse à un article par Adam Saifer qui a paru dans Conversation Canada: COVID-19 has exposed the limits of philanthropy