Les fondations face à l’ODD 2 « Faim ‘Zéro’ » à Montréal : une forme de citoyenneté alimentaire ?

Par Katia Scherer , PhiLab student
10 July 2020

Fondations Faim Zéro Montréal

Les fondations face à l’ODD 2 Faim Zéro à Montréal

En septembre 2015, 193 États membres des Nations Unies ont adopté le Programme de développement durable 2030 (aussi appelé Programme 2030). Ce programme est un plan d’action international sur 15 ans qui comprend un ensemble ambitieux de 17 Objectifs de Développement Durable (ODD). Succédant aux Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD), les ODD intègrent une approche permettant de combattre la pauvreté de façon plus globale par des objectifs couvrant les inégalités économiques, la consommation responsable et les changements climatiques. Ces ODD fournissent un ensemble de 169 cibles et de 290 indicateurs permettant de mobiliser et de coordonner différents acteurs de la société autour de projets communsIls offrent ainsi aux organisations intervenant dans une diversité de domaines un cadre pouvant servir au suivi et à l’évaluation de leurs interventions. Qu’en est-il de leur appropriation par le secteur philanthropique ? Suivant des cibles du Programme 2030des fondations montréalaises se mobilisent dans le développement d’un système alimentaire durable pour la collectivité et participent ainsi au renforcement de la citoyenneté alimentaire. À la suite d’un survol de l’engagement philanthropique pour les ODD, nous présenterons la démarche Faim « Zéro » de la Fondation du Grand Montréal pour comprendre comment le milieu philanthropique montréalais renforce trois dimensions associées à la citoyenneté alimentaire.   

Objectifs de développement durable (ODD) et philanthropie  

L’implication du secteur philanthropique et l’amélioration des partenariats de financements est considéré comme une orientation stratégique à l’atteinte de nombreux objectifs du Programme 2030, notamment le 17e« Partenariat pour la Réalisation des Objectifs »désigné comme transversal à la réalisation des autres objectifs. Le secteur philanthropique est en effet reconnu comme un multiplicateur d’impacts et un outil de mobilisation collective permettant de faciliter des partenariats multi-acteurs et de tester des approches innovantes en faveur de la réalisation des ODD notamment en endossant la prise de risques pour des projets ambitieux et novateursEn intégrant les ODD à leurs cadres d’action, le secteur philanthropique peut développer des indicateurs à différentes échelles et ce, à travers des mécanismes déjà en place : octroi de subventions, leaderships, pouvoir de mobilisation, etc. L’objectif étant de développer des mesures d’efficacité réelles et communes pour les grandes, moyennes et petites fondations suivant des principes directeurs arrimés aux ODD. En retour, les ODD fournissent un cadre de travail pertinent pour les fondations philanthropiques désireuses de s’engager et d’investir pour le Bien CommunSans oublier que la réalisation des ODD permettra de générer d’importants retombés économiques d’ici 2030, soit 12 000 milliards de dollars en perspectives de marché et 380 millions d’emplois (ONU, 2015).  

Depuis l’adoption du Programme 2030, de nombreuses fondations privées et publiques se sont donc mobilisées pour accélérer la réalisation des ODD en unissant leurs efforts. Des plateformes comme le Réseau de fondations travaillant pour le développement de l’OCDE (netFWD), la SDG Philanthropy Plateform ou la European Venture Philanthropy Association (EVPA) ont vu le jour pour proposer des outils et favoriser des synergies entre acteurs. Au Canada, les fondations mettant en œuvre les ODD collaborent sous la bannière d’Alliance 2030, un réseau d’organisations, d’institutions et de particuliers œuvrant à la concrétisation des ODD d’ici 2030Depuis son lancement, Alliance 2030 compte plus de 2 500 membres et les inscriptions dans la base de données ne cessent d’augmenterAlignant ses priorités et ses activités sur 10 des 17 ODD de l’ONU, la Fondation du Grand Montréal (FGM) est la première fondation au Québec à mesurer la vitalité de sa population à partir des ODD et une des premières à mettre en place un programme de subventions basé sur 5 objectifs identifiés comme majeurs pour Montréal, soit les ODD 2 « Faim Zéro’ », 3 « Bonne santé et bien-être », 11 « Villes et communautés durables » et 16 « Paix, justice et institutions efficaces ».   

Les ODD dans l’agenda des fondations : Exemple de la démarche Faim « Zéro » de la Fondation du Grand Montréal  

En 2017, la publication de la nouvelle édition des Signes vitaux de la Fondation du Grand Montréal consacrée aux enfants a eu un retentissement public important en soulignant les problématiques d’insécurité alimentaire de la métropole et ses impacts sur la santé, la réussite scolaire et la vie familialePourtant, force est de constater que de nombreux acteurs communautaires, privés, gouvernementaux et philanthropiques s’y consacrent déjà ardemment (Audet et al, 2014).  

Dans ce contexte, la démarche collaborative et inclusive Faim « Zéro », initiée en 2018 par la Fondation du Grand Montréal et inscrite dans l’ODD 2 de l’ONU, visait à améliorer la compréhension collective de l’écosystème montréalais de la sécurité alimentaire pour engendrer des actions stratégiques concertées et lutter plus efficacement contre l’insécurité alimentaire. La démarche a été accompagnée par la mise en place d’un « groupe stratégique » composé de différentes parties prenantes, dont d’autres acteurs philanthropiques (Fondation Lucie et André Chagnon, Centraide et L’œuvre Léger). Cela s’est accompagné, chez ces acteurs philanthropiques, d’une analyse des contributions financières auprès des initiatives et organismes alimentaires à Montréal. 

Finalisé en mai 2019, les différentes phases du projet Faim « Zéro » ont permis de mesurer l’état des connaissances actuelles sur la sécurité alimentaire à Montréal et d’identifier des facteurs facilitant ou entravant les efforts des acteurs impliqués dans le milieu (FGM et Récolte, 2019). Ce projet a ainsi permis d’entamer des discussions et des stratégies pour améliorer la réponse collective au problème de l’insécurité alimentaire et amener des investisseurs philanthropes, gouvernementaux et privés à soutenir des projets permettant de diminuer le taux d’insécurité alimentaire à MontréalEn sommes, cette démarche a participé à renforcer le partage de connaissance entre les acteurs philanthropiques, institutionnels, scientifiques et communautaires afin de renforcer le maillage des acteurs travaillant conjointement dans la construction d’un système alimentaire durable et équitable pour la collectivité montréalaise. 

Engagement philanthropique et citoyenneté alimentaire  

L’engagement de la FGM dans la lutte contre l’insécurité alimentaire à travers l’ODD2 « Faim Zéro’ » et dans la construction d’un système alimentaire durable pour la collectivité montréalaise à travers l’ODD 11 « Villes et communautés durables » fait écho à trois dimensions de la citoyenneté alimentaireLa dimension fondatrice de celle-ci (soulevée par l’ODD2) repose sur la reconnaissance que l’alimentation est un droit social universel et que, par conséquent, chaque être humain à le droit de se nourrir dans la dignité et avoir accès à une nourriture saine, suffisante, sûre, de qualité et adaptés culturellement. Cette dimension implique l’autonomie alimentaire des ménages et leurs capacités à définir et à exercer leurs préférences alimentaires. Pour assurer le droit social à l’alimentation, une deuxième dimension caractéristique de citoyenneté alimentaire est l’intégration des valeurs de justice, d’égalité et d’équité et leurs mises en œuvre. Cette dimension sous-entend la réduction des inégalités dans les systèmes alimentaires en assurant la disponibilité et l’accessibilité des aliments frais et sains aux communautés et en améliorant les conditions des travailleurs des systèmes alimentaires. Cette dimension est intimement liée à une troisièmesoit l’intérêt pour des systèmes alimentaires durables (soulevée par l’ODD 11). 

Utilisé pour caractériser un engagement individuel, collectif et institutionnel pour l’alimentation, la notion de citoyenneté alimentaire indique un effort pour rendre les systèmes alimentaires plus démocratiques, économiquement et socialement justes et écologiquement soutenables (Wilkins, 2005). Dans un contexte de mondialisation des problématiques alimentaires, l’alimentation devient un nouvel espace pour s’attaquer aux inégalités et pour faire l’exercice de la citoyenneté. Ces dernières années, le phénomène de citoyenneté alimentaire aurait contribué à un rééquilibrage dans la gouvernance des systèmes alimentaires (Renting et al, 2012) et, avec l’intégration d’enjeux sociaux et environnementaux, au développement des systèmes alimentaires dits « alternatifs »1 (Lozano et Gómez-Benito, 2017 ; Ibid).  

L’engagement pour la citoyenneté alimentaire correspond à trois modes d’actions : la consommation (engagement individuel), l’organisation de la consommation (engagement collectif) et la démocratisation (engagement institutionnel). L’engagement pour la citoyenneté alimentaire intervient donc dans le marché à travers le développement de systèmes alimentaires plus durables, et, dans les institutions par un engagement civique dans la formation de l’opinion publique et dans les cadres règlementaires relatifs à l’alimentation (Renting et al, 2012). Toutefois, les modes d’actions de la citoyenneté alimentaires peuvent être favorisés ou obstrués par des contextes ou des types de gouvernances alimentaires. En dirigeant leurs investissements vers la réalisation des ODD 2 et 11, la Fondation du Grand Montréal semble travailler au niveau des modes d’actions collectifs et institutionnels de la citoyenneté alimentaire par la réorganisation de la consommation (intervention dans le marché) et la démocratisation (intervention dans les institutions).  

Conclusion 

Avec la démarche Faim « Zéro », la Fondation du Grand Montréal contribue à renforcer l’esprit philanthropique montréalais par rapport au Programme 2030 en engageant un important mouvement pour la réalisation des ODD et ce, de manière concertée et efficace, comme en appel le 17e objectifs. Par ailleurs, il convient de questionner la contribution du secteur philanthropique montréalais à la citoyenneté alimentaire. En effet, les investissements collectifs dirigés vers les ODD2 et 11 contribuent à améliorer le droit social à l’alimentation en développant des systèmes alimentaires plus justes et plus durables, trois dimensions caractéristiques de l’émergence et de la consolidation de ce nouvel espace de citoyenneté

Fondations Faim Zéro Montréal


Vous connaissez des fondations qui travaillent sur le ODD 2 Faim Zéro à Montréal? Contactez-nous au courriel philab@uqam.ca

Bibliography

References 

Audet, R., Lefèvre, S. et El-Jed, M. (2014). La démarche d’innovation des marchés de quartier de Montréal : Vers une transition socioécologique du système agroalimentaire. Les cahiers de la CRSDD, n° 1-2014.  

Fondation du Grand Montréal et Récolte (2019, mai). Faim « Zéro » à Montréal, Phase 2 : Portrait de l’écosystème montréalais de la sécurité alimentaire, [Document PDF]  

Lamine, C., Renting, H., Rossi, A., Wiskerke, J.S.C.H. et Brunori, G. (2012). Agri-food systems and territorial development: innovations, new dynamics and changing govenance mechanisms. Dans I. Darnhofer, D. Gibbon et B. Dedieu (dir.), Farming systems research into the 21st century: the new dynamics (p. 229-256). Springer, Dordrecht.  

Lozano-Cabedo, C. et Gómez-Benito, C. (2017). A Theoretical Model of Food Citizenship for the Analysis of Social Praxis. Journal of Agricultural and Environmental Ethics, 30(1), 1-22. doi: 10.1007/s10806-016-9649-0   

ONU(2015). Objectifs de Développement Durable, Récupéré de : https://www.un.org/sustainabledevelopment/fr/objectifs-de-developpement-durable/ 

Renting, H., Schermer, M., & Rossi, A. (2012). Building food democracy: Exploring civic food networks and newly emerging forms of food citizenship. International Journal of Sociology of Agriculture and Food, 19(3), 289–307  

Wilkins, J. L. (2005). Eating right here: Moving from consumer to food citizen. Agriculture and Human Values. doi:10.1007/s10460-005-6042-4