Denis Bussières est docteur en sociologie de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) est professionnel de recherche au Centre de recherche sur les innovations sociales (CRISES). En plus d’enseigner l’économie sociale et solidaire, ses champs d’intérêt portent sur la recherche partenariale, ainsi que sur les relations chercheurs-praticiens dans les processus de coconstruction des connaissances et de partage de savoir. Il assure la coordination à temps partiel du Réseau Québecois en Innovation Sociale (RQIS) depuis 2018.
Entrevue avec Denis Bussières, coordonnateur du Réseau Québécois en Innovation Sociale
Entrevue par Zeynep Torun
Zeynep Torun (ZT): Pour débuter, pouvez-vous présenter la structure et la mission du Réseau québécois en innovation sociale?
Denis Bussière (DB): C’est un réseau qui existe depuis 2005. C’est une structure qui regroupe présentement une quarantaine d’intervenants au niveau de l’innovation sociale au Québec. Ces intervenants proviennent de trois secteurs particuliers : le premier regroupe les gens qui travaillent dans des organisations qui font de l’innovation sociale, le deuxième rassemble les gens qui soutiennent l’innovation sociale, soit par le financement soit par un processus de conseil afin de soutenir le développement des innovations, enfin, le dernier groupe de personnes provient des études supérieures (CEGEPs ou universités), soit des professeurs soit des chercheurs qui travaillent dans des centres de recherche. Il existe également, au niveau collégial, des centres de recherche qui travaillent sur certaines thématiques de l’innovation sociale.
Pour résumer, le RQIS a deux grandes missions.
- Une mission de carrefour : il tente de réunir en son sein des gens provenant de l’ensemble des organisations qui peuvent travailler sur l’innovation sociale au Québec. Le but premier du Réseau est de créer un lieu d’échanges entre ces différentes organisations et praticiens et praticiennes de l’innovation sociale.
- La deuxième mission consiste à publiciser les efforts qui se font en innovation sociale en tentant d’être un interlocuteur auprès des instances gouvernementales pour promouvoir le soutien aux innovations sociales.
ZT: Quel est votre rôle dans la structure du RQIS de cette organisation ?
DB: Je coordonne les travaux du réseau. Le réseau a eu des hauts et des bas, particulièrement au niveau financier, parce que c’est toujours un peu compliqué de trouver du financement pour une structure dédiée à la concertation. Je le coordonne à temps partiel depuis trois ans et demi.
ZT: Comment voyez-vous le développement de l’innovation sociale au Québec depuis la création de RQIS en 2005 ?
DB: Au début, je dirais que le Réseau était un intervenant majeur au niveau de l’innovation sociale au Québec parce qu’il n’y avait jamais eu d’efforts pour regrouper l’ensemble des acteurs en innovation sociale. Le réseau a également publié un manifeste afin d’indiquer l’importance de l’innovation sociale dans la province et l’importance d’un soutien public en innovation sociale. Au début, je dirais que le Réseau était un acteur unique d’une certaine façon. Avec les années, nous avons vu d’autres acteurs qui se sont développés et d’autres intervenants qui ont aussi joué un rôle au niveau de l’innovation sociale. Ce qui était nouveau dans les années 2010 est devenu “mainstream” aujourd’hui. Le concept d’innovation sociale est beaucoup plus présent maintenant dans le discours public.
ZT: En quoi et comment la philanthropie est-elle associée au RQIS et à l’innovation sociale ?
DB: Il y a premièrement un soutien financier. Par exemple, la Fondation McConnell a soutenu le regroupement pendant trois ans. Je pense aussi à la Fondation Chagnon, qui a également intégré certaines formes d’innovations sociales, entre autres avec des engagements conjoints avec le gouvernement du Québec sur certaines problématiques. Donc, il y a eu du soutien financier du milieu philanthropique, mais il y a eu aussi la mise en place de nouvelles structures pour répondre à des nouveaux besoins (dans le cas de la Fondation Chagnon). On peut parler également de Centraide du Grand Montréal qui a mis en place un projet spécifique pour soutenir le développement des communautés dans les quartiers de Montréal (le projet PIC). On peut dire que la philanthropie est liée à l’innovation sociale de deux façons : par un soutien financier et en étant un acteur pratique de l’innovation sociale.
ZT: Voyez-vous une évolution du rapport entre le secteur philanthropique et le secteur québécois de l’innovation sociale ?
DB:Je pense que oui, mais ça dépend à partir de quel moment on situe le début de ce rapport. C’est sûr que les fondations comme le gouvernement d’ailleurs ont intégré la dimension de l’innovation sociale dans leurs discours et dans leurs actions depuis une quinzaine d’années. Elle est devenue, pour certaines fondations, un secteur d’intervention ou des thématiques de projets qu’elles veulent et peuvent soutenir concrètement. C’est pour cette raison que quand des organisations déposent des demandes de financements auprès de fondations, souvent, elles doivent démontrer en quoi leurs projets ou leurs interventions sont innovantes. Ainsi, la dimension ‘innovation sociale’ a été intégrée dans les programmes philanthropiques et dans les conditions à remplir pour obtenir du soutien financier.
ZT: En quoi consiste le financement obtenu de la Fondation Chagnon ?
DB:Le RQIS a bénéficié et va encore bénéficier d’un financement de la Fondation Chagnon. Dans un premier temps, le Réseau a obtenu un soutien financier pour préparer une demande de financement à long terme. Dans un deuxième temps, en juin dernier, la Fondation a accepté de financer le RQIS pour une période de trois ans. Ce financement va permettre au RQIS d’embaucher une personne à temps plein pour la coordination et une personne pour la communication.
ZT: Comment voyez-vous le futur des relations entre le secteur philanthropique et le RQIS ?
DB:Je le vois assez positivement. Le fait que le RQIS va pouvoir se déployer d’une façon plus importante et plus régulière sur l’ensemble du territoire québécois comme organisation de carrefour au niveau de l’innovation sociale et puis comme organisation porteuse d’une certaine revendication politique de l’innovation sociale. Je pense que cela peut intéresser les organisations et les fondations, soit pour se joindre au RQIS en tant que membre, ou encore pour soutenir financièrement sur des problématiques particulières, comme la question de l’évaluation des impacts de l’innovation sociale. Le RQIS a déjà travaillé sur l’évaluation et c’est une dimension qui peut intéresser certaines fondations. Je pense qu’il faut que les milieux philanthropiques ne partent pas avec une vision très déterminée de ce qu’est l’innovation sociale. Il y a quand même une dimension créatrice sur l’innovation sociale et il ne faudrait pas que les fondations s’enferment dans une définition stricte de cette dernière lorsque vient le temps de déployer leur soutien financier.
ZT: Est-ce que la crise sanitaire actuelle permet de mettre en valeur les organisations socialement innovantes ?
DB: Oui et non. Je ne suis pas un spécialiste, je n’ai pas fait une évaluation de terrain, mais ce que j’ai pu constater à travers des échanges avec des gens durant des webinaires, c’est qu’effectivement la pandémie a permis à certaines organisations d’être innovantes, mais aussi cela nous a permis de voir des innovations qu’on avait mis de l’avant au cours de dernières années ont pu assurer une réponse rapide aux défis posés par la pandémie. Le fait d’avoir soutenu ces organisations qui étaient innovantes a assuré une certaine pérennité à ces dernières. Cela a fait qu’elles ont pu répondre rapidement de façons innovantes. Alors, à mon avis, ce soutien a permis à ces organisations d’offrir une réponse rapide, pointue, efficace et efficiente aux nouvelles problématiques. Cette question est une bonne problématique de recherche à étudier.
ZT: Denis Bussières, merci beaucoup pour cette entrevue.
Zeynep Torun est titulaire d’une maîtrise en sciences économiques et sociales avec une spécialisation en histoire de la pensée à l’Université Lumière Lyon 2 en France. Elle est actuellement étudiante à l’UQAM en maîtrise en responsabilité sociale et environnementale. Elle s’intéresse à l’agriculture et aux pratiques alternatives de production dans le secteur agricole et alimentaire.