Témoignages sur l’implication bénévole en période de COVID-19 au Québec
Entretien avec Michel Alexandre Cauchon, directeur général de la Fédération des centres d’action bénévole du Québec (FCABQ)
Michel Alexandre Cauchon travaille depuis près de 10 ans dans le secteur communautaire, où il participe à l’amélioration des conditions de vie des plus démunis. En février 2016, il débutait à la Fédération des centres d’action bénévole du Québec (FCABQ) à titre de conseiller en relations publiques, avec le mandat d’arrimer les différentes actions menant à la Semaine de l’action bénévole. La même année, il est devenu chargé de la recherche et du développement, poste qu’il a occupé pendant deux ans et demi à la FCABQ et qui lui a permis de bien saisir les défis et les enjeux auxquels les Centres d’action bénévole doivent faire face. Plus récemment, il fut responsable de la coordination générale du Regroupement des cuisines collectives du Québec, un organisme provincial visant le développement de l’autonomie alimentaire au moyen de l’éducation populaire. Il siège à la direction générale de la FCABQ depuis le mois de mai 2019.
Mise sur pied en 1972, la FCABQ est un organisme à but non lucratif qui regroupe 108 centres d’action bénévole présents presque partout au Québec. Renouvelée en 2014 à la suite d’un processus d’orientation stratégique, sa mission est de mobiliser, soutenir et représenter les Centres d’action bénévole (CAB) afin de stimuler la promotion, la reconnaissance et le développement des différentes pratiques de l’action bénévole au sein de la collectivité. Comme regroupement d’organismes communautaires, la Fédération porte des dossiers politiques visant à défendre les intérêts de ses membres et à placer l’action bénévole au cœur du développement social durable au Québec. (extrait de : https://www.fcabq.org/la-fcabq/qui-sommes-nous)
David Grant-Poitras (DGP) : Quelles ont été les principales répercussions de la crise sanitaire sur les bénévoles?
Michel Alexandre Cauchon (MAC) : Il y a plusieurs constats. Le premier, c’est qu’à partir du 13 mars, journée où le gouvernement du Québec décrète un confinement complet, les CAB ont perdu tout d’un coup 80% de leurs bénévoles. La raison principale étant l’âge de nos bénévoles : il y a beaucoup de bénévoles qui ont plus de 60 ans, donc ceux-là et celles-là nous devions leur dire de ne plus venir. Une autre date importante est le 26 mars, quand le premier ministre fait l’appel aux Québécois·es pour qu’ils et elles donnent du temps en s’inscrivant sur JeBénévole.ca, un site de jumelage appartenant à la fédération. À partir de ce moment-là, on a observé un changement de tendance : le bassin de candidats-bénévole est devenue trop élevée par rapport aux offres de bénévolat disponibles. Nous n’avions jamais vu ça.
Deux raisons expliquent cette situation. La première est liée au fait que beaucoup d’organismes n’étaient pas considérés comme offrant des services essentiels et ils ont dû se mettre en arrêt à partir du 13 mars, ce qui a eu pour effet de diminuer notre offre. L’autre raison est que les organismes n’étaient pas nécessairement outillés et n’avaient pas les ressources humaines pour gérer un flux aussi important de candidatures. Vous savez, on a souvent la prétention de croire que gérer un bénévole c’est simple, mais gérer un bénévole c’est tout aussi compliqué que gérer une ressource payée. Le bénévole n’a pas nécessairement un attachement, tandis que vous et moi on rentre travailler le matin car c’est une obligation d’y aller. Pour le bénévole, c’est un geste qui est libre, engagé et volontaire. Donc gérer une ressource bénévole est complexe, demande beaucoup de temps. En temps normal, les CAB ont les ressources permettant d’encadrer les bénévoles, mais le flux qui est arrivé entre le 26 mars et le 14 avril était tout simplement trop gros – c’était au-delà de nos capacités organisationnelles de rejoindre et de placer les 20 000 personnes qui se sont inscrites en l’espace de deux semaines. Pour les Centres d’action bénévole, la gestion de la banque de bénévoles générée par JeBenevole.ca, l’orientation des gens qui nous contactait pour s’impliquer, etc. a demandé beaucoup de temps et a grugé énormément de ressources.
DGP : Parmi les individus qui se sont inscrits sur JeBénévole.ca, peut-on identifier certains types de profils qui ressortent davantage?
MAC : Dès le mois de mars, j’ai remarqué qu’il y a eu beaucoup de personnes du milieu de l’enseignement. Pour ce qui est de la moyenne d’âge, ça se situe vraiment entre 40 et 60 ans ; ce ne sont pas les jeunes qui se sont le plus impliqués via JeBénévole.ca.
Ce qu’il faut savoir – et je m’éloigne un peu du sujet de la COVID – c’est que l’implication bénévole des jeunes est très différente. Par exemple, une personne de 65 ans qui fait la livraison de popote, eh bien cette personne, tous les mardis après-midi et tous les mercredis matin, elle vient faire son 4 heures puis elle va revenir faire ses heures toutes les semaines. Le jeune, son implication va être plus sporadique et instantanée, du genre : « cet après-midi, j’ai envie de faire quelque chose alors je vais aller voir si je peux faire quelque chose, mais ne me rappelez pas la semaine prochaine parce que je vais avoir autre chose, je vais être ailleurs ». Et il y a aussi chez les jeunes des causes particulières qui les interpellent. Ils vont beaucoup embrasser des causes comme l’environnement par exemple. Ils sont donc moins engagés dans notre créneau, plus social, qui est essentiellement en lien avec le soutien aux aînés.
DGP : Parmi les centres de la fédération, quels ont été les moyens mis en place pour s’adapter à la situation et continuer à octroyer des services?
MAC : D’entrée de jeu, les CAB ont été considérés essentiels par rapport à trois enjeux. En temps normal, nous offrons autour de 80 services. Avec la pandémie, c’est environ 93% de nos services qui ont cessé. Toutes les activités qui demandent qu’on se réunisse en grand groupe – donc tout ce qui a trait aux cuisines collectives, aux diners communautaires, etc. – ont été mis sur pause. Néanmoins, le gouvernement nous a demandé de poursuivre trois grands services, lesquels représentent les principaux services généralement offerts par les CAB.
- Il y a d’abord la livraison de repas à domicile, ce qu’on appelle communément « la popote roulante ». Ce service-là a dû être modifié à plusieurs niveaux. D’une part, la majorité des CAB possède des cuisines dans lesquelles sont préparés les repas. Il y a une personne qui est rémunérée, le chef, qui est habituellement assisté par des bénévoles. Dans ce cas-ci, les bénévoles ne pouvaient plus aller dans la cuisine, ce qui signifie que le chef était seul pour cuisiner les popotes. Un deuxième changement a été nécessaire en ce qui a trait à la livraison. Le bénévole passait chercher les boites repas au CAB et nous devions les laisser à l’extérieur du bâtiment. Et quand il arrivait chez le bénéficiaire, il laissait le colis sur la galerie (comme la livraison nouveau genre), sonnait et établissait un contact visuel, mais les échanges étaient limités. Si vous le permettez, je vais faire une parenthèse : oui il y a la livraison de repas, mais il y a aussi tout le reste qui gravite autour. C’est-à-dire, prendre des nouvelles et de s’assurer que la personne aînée, qui est souvent seule et vulnérable, se porte bien. Souvent, c’est en livrant la popote que les bénévoles détectent d’autres problèmes qui apparaissent chez la personne aînée. Ils les réfèrent alors à d’autres services. Avec la pandémie, cette fonction n’était plus possible.
- Notre deuxième service, encore actif, est celui des visites d’amitié. Les bénévoles vont chez la personne aîné pour jaser, prendre des nouvelles et pour la désennuyer tout simplement. C’est un service qui nous permet vraiment de détecter la présence de troubles ou des problèmes qui peuvent apparaître chez les personnes aînées isolées. Tout ce service a été adapté et réalisé par téléphone, en télé-bénévolat. Toutes les visites d’amitié de nos bénévoles se sont donc transformées en téléphones d’amitié.
- Le troisième service donné par les CAB est tout ce qui touche à l’accompagnement et au transport de bénéficiaires. Il s’agit, par exemple, de prendre une personne aînée chez elle et de l’amener et de l’accompagner à ses rendez-vous à l’hôpital. Ce n’est pas un service de taxi où on laisse la personne à la porte de l’hôpital et où on va la chercher trois heures après. L’idée est d’accompagner la personne jusqu’à l’hôpital, de l’attendre à la cafétéria et, après son rendez-vous, de la ramener chez elle. Dans le contexte pandémique, les bénévoles ont faire des aménagements dans leur véhicule, en installant, par exemple, un plastique ou un plexiglas entre le siège avant et le siège arrière.
DGP : Est-ce qu’avec le prolongement de la pandémie – et maintenant avec la deuxième vague qui frappe – vous observez une démobilisation des bénévoles?
MAC : Pendant longtemps, le gouvernement disait que les gens de 70 ans et plus ne pouvaient pas faire de bénévolat. De notre côté, nous avons relancé souvent le gouvernement à ce sujet-là, parce que les bénévoles de 70 ans et plus voulaient en faire. Pour eux, faire du bénévolat, c’est une activité qui leur fait fondamentalement du bien. Oui ils le font pour la société, mais ils le font essentiellement pour eux. Nous avons réussi à obtenir du gouvernement que ces personnes puissent recommencer leurs activités bénévoles. Donc en matière de démotivation, la réponse est non, parce que les bénévoles le font aussi pour eux-mêmes, parce que ça leur procure un bien-être. Les gens veulent continuer de faire du bénévolat.
Le problème qu’on va rencontrer se situe davantage au niveau de l’encadrement de l’engagement bénévole : il y a parfois des obstacles qu’on ne parvient pas à régler alors que ce serait fort simple d’y arriver. Par exemple, nous avons interpellé le gouvernement il y a un mois concernant l’accompagnement et le transport bénévole. C’est l’un des services pour lesquels nous avons le plus de difficulté à recruter des bénévoles et, en ce moment, les bénévoles ne peuvent pas accompagner les bénéficiaires à l’intérieur de l’hôpital. Ils doivent attendre à l’extérieur. La situation était acceptable lorsqu’il faisait 20 degrés, mais c’est beaucoup moins plaisant pour nos bénévoles présentement alors qu’ils et elles sont contraintes d’attendre plusieurs heures dans leur auto en raison du froid. La FCABQ demande donc au gouvernement de prévoir une salle dans les hôpitaux où les bénévoles pourront attendre au chaud tout en respectant les mesures de distanciation sociale. Pour l’instant, c’est compliqué de faire bouger les choses tandis bien que ce soit une solution fort simple. Alors quand on parle de démobilisation, eh bien je dirais que ce sont des choses comme cela qui peuvent potentiellement démobiliser les bénévoles.
J’ajouterais que la dynamique dans les CAB a beaucoup changé. En plus d’offrir des services, les Centres sont aussi un milieu de vie. Je parlais tout à l’heure du livreur de popote qui ramassait les boites sur le perron du CAB. Même si sa route débute à 9h30, il peut être dans son habitude d’arriver au centre à 8h30 pour jaser avec Pierre ou Mercedes qu’il n’a pas vu depuis trois semaines. Bref, en temps normal, un CAB c’est un milieu de vie qui favorise des échanges entre les bénévoles. Maintenant, plus personne qui peut entrer ; c’est vraiment rendu un guichet, ce qui va à l’encontre de la nature d’un CAB. Habituellement, il y a un lien plus personnel entre une directrice ou un directeur de CAB et les bénévoles. Un bénévole, ce n’est pas du « cheap labor », ce n’est pas un employé, alors c’est important de prendre des nouvelles et de s’intéresser à eux et à elles. De ce côté-là, les restrictions sanitaires ont vraiment changé la façon de faire. Cela dit, je ne crois pas que ce soit un facteur de démobilisation. Le bénévole comprend cette réalité-là.
DGP : En terminant, quels sont, selon vous, les changements durables qui vont affecter l’action bénévole au Québec?
MAC : Notre grand défi par rapport à la COVID, c’est la rétention des bénévoles. Les nouvelles personnes qui donnent du temps en ce moment, est-ce qu’elles le font seulement parce que nous sommes en situation de crise, ou pensent-elles rester après? Nous sommes parvenus à attirer un nouveau flux d’individus dans le milieu de l’action bénévole. Notre grand défi sera de les garder mobilisés, car les besoins ne vont pas diminuer après la COVID. Et je vous dirais que nos défis à ce niveau seront probablement les mêmes qu’avant la crise, c’est juste que la crise les a mis en évidence. En fait, il va falloir s’adapter aux changements qui affectent l’action bénévole.
Pour commencer, nous devrons faire du recrutement auprès d’une population plus jeune, car on constate que ceux et celles qui donnent le plus de temps, ce sont présentement les personnes plus âgées. Nous sommes devant l’obligation de rajeunir notre bénévolat. Dans un deuxième temps, il faudra adapter notre bénévolat. On constate qu’il a été possible d’attirer plus de 30 000 candidatures du fait que beaucoup de gens ne travaillaient pas. Or, beaucoup d’organismes offrent aux bénévoles des plages horaires du lundi au vendredi, de 9 à 5. Ce que la crise nous démontre, c’est que ces horaires ne concordent pas avec les disponibilités des gens qui travaillent. Le bénévole régulier qui vient de semaine en semaine tend à disparaître, et cela est un constat qui précède la crise. Il faut donc modifier notre offre et faire preuve d’une plus grande souplesse pour s’ajuster aux réalités de nos différents.
J’ajouterais que la crise a mis en lumière le bénévolat dit essentiel. C’est « in » de nourrir des gens, mais cela a fait de l’ombre sur les autres types de bénévolat ; c’est tout aussi important de « coacher » une équipe de hockey ou de s’impliquer sur un c.a. Il faut motiver les gens à voir les autres options de bénévolat.
This interview is part of a series on volunteering in Quebec during the COVID-19 crisis. Find all of the interviews of the series here:
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