Entretien avec Éric St-Pierre: Une fondation engagée dans la lutte aux changements climatiques
Avant de se joindre à la Fondation, Éric St-Pierre pratiquait le droit autochtone et environnemental pendant cinq ans en tant qu’avocat et médiateur accrédité. Éric est titulaire de diplômes en common law et en droit civil (LLB / BCL) de l’Université McGill et d’un baccalauréat spécialisé en sciences politiques de l’Université Concordia.
Établie en 2000, la Fondation familiale Trottier a pour vision d’apporter un impact significatif et positif sur le monde. Elle souhaite y parvenir en favorisant la science, l’éducation, la santé et l’environnement. Sa mission consiste à soutenir les organisations qui avancent la recherche scientifique, promeuvent l’éducation, favorisent l’amélioration de la santé, protègent l’environnement et atténuent les changements climatiques. La Fondation Familiale Trottier s’efforce de catalyser et appuyer les innovations transformatrices, créer des collaborations intersectorielles, et prendre des risques que d’autres évitent.
David Grant-Poitras (DGP) : Bien que la Fondation Trottier existe depuis maintenant plus de 20 ans, il semblerait que votre approche philanthropique a beaucoup changé dans les dernières années?
Éric St-Pierre (ÉSP) : Oui. Je dirais qu’avant notre approche était plus traditionnelle. Nous étions une fondation qui supportait des campagnes de collecte de fonds ainsi que de grandes institutions. C’est dans ce contexte que j’ai commencé à travailler en 2016 à la Fondation Trottier. Nous constations qu’il y avait beaucoup d’autres fondations philanthropiques qui travaillaient ensemble, dont celles impliquées dans le milieu environnemental. Quand je suis arrivé en poste, le CA et moi voulions une approche plus collaborative, c’est-à-dire de travailler avec et apprendre les meilleures pratiques d’autres fondations comme la Fondation McConnell, la Fondation Béati, la Fondation Ivey, la Fondation Echo, Metcalf, etc., la liste est vraiment longue. Nous avons donc commencé à être plus engagés dans cet écosystème-là et, rapidement, nous avons été inspirés par d’autres fondations qui géraient leurs programmes, mettaient en œuvre de nouvelles idées et adhéraient à une approche plus entrepreneuriale de la philanthropie. Ainsi, nous n’étions plus là seulement pour recevoir passivement les demandes de grandes institutions (hôpitaux et universités) et organisme communautaires; nous étions maintenant en mode où il s’agit d’identifier les grands enjeux et de réfléchir, comme fondation, aux solutions que nous pouvons apporter pour les adresser ces enjeux-là. Et souvent, cela signifie que personne n’est là pour te solliciter par rapport à certains enjeux ciblés ; alors faut prendre l’initiative et le faire soi-même. Nous continuons de faire les deux : faire confiance à nos partenaires et d’identifier des solutions.
Je vais te donner un exemple récent d’une initiative qui vient juste de se conclure. En 2018, j’ai travaillé avec Karel Mayrand, qui travaillait anciennement à la Fondation Suzuki l’un de nos partenaires. Nous sommes allés rencontrer la ville de Montréal, sachant qu’il y avait beaucoup d’ambition sur les changements climatiques, pour voir avec eux comment nous pourrions les soutenir et apporter des ressources supplémentaires pour viser un plan climat ambitieux. Il s’agit là d’une approche assez proactive, dans le sens que ce n’était pas la ville qui nous convoquait ; c’est nous qui les interpellions parce qu’on voyait une opportunité intéressante afin que soit développé un plan climat très ambitieux pour la ville. L’administration a accepté aussitôt et nous avons signé une entente. Il y a eu l’annonce publique et nous avons apporté environ 700 000$ à la ville de Montréal, notamment pour financer des experts et mobiliser les parties prenantes. Par exemple, en ce qui a trait à la comptabilisation des émissions de Montréal, ces experts ont pu conseiller la ville et faire tout un travail de modélisation techno-économique pour évaluer les émissions et voir comment on pourrait les réduire d’ici 2030, et combien en 2050. Par conséquent, toutes les cibles qui ont été établies par la ville de Montréal – comme celle de réduction de 55% des émissions d’ici 2030 – c’était quelque chose qui a été réalisé en partie grâce au financement apporté par des fondations philanthropiques.
DGP : Y a-t-il d’autres initiatives environnementales importantes qui ont été pilotées par la Fondation familiale Trottier?
ÉSP : Nous avons aidé, récemment, à la création du Fonds Climat du Grand Montréal. Ça fait trois ans qu’on travaille de près avec The Atmospheric Fund à Toronto pour bâtir cette initiative. Avec cette collaboration, nous sommes parvenus, en 2019, à aller chercher 183M de dollars auprès du gouvernement fédéral, dont 32,5M qui spécifiquement iront à Montréal pour créer la dotation du Fonds Climat du Grand Montréal. L’action de ce fonds sera entièrement tournée vers la réduction des GES sur le territoire de la région de Montréal. Il s’agit, par exemple, de créer de nouveaux programmes qui vont réduire les émissions dans les édifices ou les transports, et ce, autant par le biais de subventions que par des investissements directs. Le fonds se veut une innovation financière qui s’inscrit dans la lutte aux changements climatiques. Pour te donner une idée, on regarde actuellement pour développer un programme d’efficacité énergétique dans les blocs de six logements et plus. Dans le cadre de ce programme, nous voudrions travailler avec des ingénieurs et des propriétaires pour faire des rénovations qui permettraient de mettre fin à l’utilisation du mazout et du gaz naturel dans plusieurs édifices.
DGP : La Fondation Trottier se montre aussi très impliquée à titre d’investisseur. En quoi votre stratégie d’investissement vous permet-elle d’adresser des enjeux environnementaux?
ÉSP : La Fondation Trottier possède environ 220M d’actifs sous gestion. En 2015-2016, nous avons décidé d’éliminer tous les investissements qui touchaient aux énergies fossiles : depuis, nous n’avons plus d’actifs dans le charbon, le gaz naturel, le pétrole, etc. Nous avions aussi un souci, plus globalement, de réduire l’empreinte carbone de notre portefeuille. Je crois que notre empreinte est actuellement de 70% inférieur à la moyenne. Au début, nous demandions à nos gestionnaires de portefeuille de nous offrir une option sans fossiles. Plusieurs autres gestionnaires ont développé de nouveaux fonds juste pour nous. Par exemple, Jarilowski Fraser, un de nos gestionnaires, avait créé son premier fonds sans fossiles spécialement pour nous. Par la suite le gestionnaire est allé chercher beaucoup d’autres investisseurs pour investir dans ce fonds. Cette orientation financière a été bénéfique pour nous. En fait, il y a plusieurs fondations philanthropiques qui ont perdu de l’argent cette année parce qu’elles étaient investies dans des compagnies pétrolières dont la valeur a chuté, parfois de 40 à 50%. Pour notre part les rendements ont augmenté cette année.
Par la suite, nous avons commencé à faire de l’engagement actionnarial, c’est-à-dire qu’on s’implique dans la façon qu’on vote comme détenteur d’actions. Et nous faisons aussi de l’investissement d’impact. Nous sommes rendus à six investissements jusqu’à présent. Cela représente environ 1,7% de notre portefeuille et notre cible est d’atteindre 5%. Nos investissements d’impact se situent surtout au niveau du développement durable : nous avons, par exemple, des obligations vertes, des investissements dans les « cleantech » et les énergies renouvelables.
DGP : le 8 septembre dernier, vous avez publié une lettre collective dans La Presse où vous interpellez le gouvernement québécois afin qu’il mette en œuvre une relance économique verte, solidaire et prospère. Neuf représentant·e·s d’autres fondations québécoises ont co-signé la lettre. Quelle était l’intention derrière cette initiative?
ÉSP : Depuis le début de la pandémie, nous sommes tous vraiment interpellés dans l’effort face à la COVID-19. Mais en même temps qu’on fait ce travail, il nous apparaissait important de continuer la discussion sur les changements climatiques, parce que ce n’est pas un problème qui va disparaître. Même si c’est complètement normal que la pandémie capte notre attention, il faut absolument penser aux changements climatiques à plus long terme. Et on sait que les gouvernements vont dépenser énormément d’argent et se posera toute la question sur la manière dont sera restimulée l’économie après la COVID. À l’internationale il y a tout un mouvement autour de ce qu’on appelle le « build back better » et la relance verte. La lettre s’inscrit dans cette perspective-là, de susciter un débat pour s’assurer qu’on va rebâtir notre économie en tenant compte des changements climatiques et en créant un monde plus juste et plus résilient. Nous avons également interpellé le gouvernement fédéral pour l’inciter à travailler en ce sens. Nous avons aussi rassemblé des fondations philanthropiques anglophones et, le 21 septembre, nous avons collectivement publié une autre lettre, en anglais celle-là, dans le National Observer visant le gouvernement fédéral. Nous sommes contents de voir que les libéraux fédéraux préconisent cette direction-là : dans le discours du trône, il était explicitement fait mention de bâtir une économie verte. On voulait en même temps encourage le gouvernement québécois de prendre ce moment pour se concentrer sur ces deux enjeux sociaux. Voici un peu le but de la lettre et nous sommes ravis que Québec ait publié son plan pour une économie verte. Il y a beaucoup d’acteurs qui parlent de réconcilier l’économie et la lutte aux changements climatiques, et nous voulions positionner le secteur philanthropique pour démontrer que nous n’avons pas oublié ce défi et qu’on le considère comme prioritaire.
DGP : en guise de mot de la fin, pouvez-vous nous parler un peu de votre opinion concernant le Plan pour une économie verte que vient d’annoncer le gouvernement québécois?
ÉSP : C’est certain que le plan pourrait être plus ambitieux, car il y a des mégatonnes de GES à combler avant 2030. En même temps, nous avons un gouvernement qui a tout de même sorti un plan contenant des investissements de 6.7 milliards de dollars, avec beaucoup d’annonces en transport, comme l’électrification du transport individuel et collectif ainsi que l’abolition de l’automobile à gaz pour 2035. Donc il y a quand même de très bons gains dans cette annonce et je pense que c’est un très bon début.
This interview is part of our November 2020 Special Edition: Philanthropy, Climate Change & the Environment. We encourage you to consult it for similar content.