Comme la plupart des pays africains, le Sénégal a eu le temps de voir venir le coronavirus. Pays d’Afrique de l’Ouest de 15 millions d’habitants classé 166ième rang de l’IDH sur 189 pays, le Sénégal va connaître son premier cas le 02 mars 2020 par le biais d’un expatrié français. La propagation rapide et généralisée du virus notamment en Chine, Italie, Espagne et France relayée par les télévisions et par les réseaux sociaux, va amener le gouvernement sénégalais à prendre des mesures drastiques mais difficiles à être mises en œuvre au regard de la structuration de l’économie et des réseaux de sociabilité. Le présent papier cherche, à partir de la présentation de la situation du COVID-19 au Sénégal, à revenir sur trois enjeux posés par la pandémie: les décisions et interventions de l’État, les comportements au regard des risques présentés et enfin, les interventions philanthropiques.
La situation du COVID-19 au Sénégal
Si durant le premier mois d’apparition du COVID-19 au Sénégal, le nombre de cas déclarés positifs restait encore maîtrisable (au 02 avril, le Sénégal avait enregistré 195 cas déclarés positifs, 55 guéris et 1 seul décès)[1], la courbe épidémiologique va rapidement grimper passant de moins de 20 cas par jour (période du 02 au 29 mars) à 66 cas à la date du 24 avril, faisant ainsi un cumul de 545 cas déclarés positifs, 7 décès et 262 guéris[2]. Une telle situation va raviver les inquiétudes des autorités et des populations. À cette progression, va s’accompagner une diffusion territoriale de la pandémie. Alors qu’au début, c’était les régions de Dakar et de Diourbel qui étaient surtout concernées, actuellement les foyers de propagation de la pandémie ont touché 9 des 14 régions du pays amenant certains à proposer une mise en quarantaine et un dépistage massif des territoires épicentres.
En tout état de cause, plus de 60% des cas déclarés positifs au Sénégal sont concentrés dans la capitale Dakar alors que les régions de Diourbel, de Tamba, de Thiés et de Louga continuent à attirer la plus grande attention des autorités médicales.
Situation comparative de l’évolution du COVID- 19 au Sénégal aux dates du 5, 16 et 24 avril 2020)
Sources compilées : Ministère de la santé et de l’action sociale, 2020. Communiqué de presse N°35, N°46 et N°52, avril 2020 Point de situation sur le COVID-19
Si au début de la pandémie, les cas importés (les étrangers et les sénégalais migrants de retour) étaient les plus redoutés, depuis la fermeture des frontières, le Sénégal n’enregistre presque rarement de cas provenant de l’extérieur. Actuellement, les principales sources de préoccupation tournent autour d’une part, des cas contacts des individus déclarés positifs qui concentrent la grande majorité de ces derniers et d’autre part, des cas communautaires qui sont révélateurs d’une perte de contrôle des services de santé de la chaîne de transmission.
Source: Ministère de la santé et de l’action sociale, 2020. Communiqué de presse N°52 du 24 avril 2020 Point de situation sur le COVID-19
A cela, il faudra ajouter les cas asymptomatiques constitués de personnes qui ne savent pas qu’ils ont la maladie parce que ne présentant aucun signe alors qu’ils sont susceptibles de la transmettre à d’autres personnes. Au regard de l’évolution actuelle de la pandémie, le dépistage massif même ciblé à certains territoires ou à certains groupes à risque est de plus en plus évoqué à la fois par des médecins, des chercheurs ou encore, par de simples citoyens.
L’intervention publique en contexte de COVID-19
Au début de l’apparition de la pandémie, l’État sénégalais était confronté à plusieurs dilemmes. Comment fournir une information juste amenant les sénégalais à se rendre compte de la gravité de la situation et des risques encourus sans pour autant tomber sur les effets pervers d’une information anxiogène ? Comment donner des renseignements sur la distribution territoriale de la pandémie tout en évitant d’encourager la stigmatisation sociale des territoires concernés, des personnes contaminées ainsi que de leurs familles ? Comment mettre en œuvre une politique de confinement des sénégalais dans un contexte d’économie informelle qui les prédispose à la recherche quotidienne de moyens de survie d’une part, et d’autre part, dans un contexte de sociabilité et de proximité sociale débordantes ? Comment fermer les sites religieux et interdire les manifestations sociales devant la sensibilité de certains milieux confrériques entretenant volontairement une culture obscurantiste présentant le Sénégal comme une terre bénie protégée pour ces genres de maladies? Ce sont de tels dilemmes qui expliquent en partie l’attitude ambivalente de l’État : d’une part des hésitations ou des lenteurs dans la prise de décisions et d’autre part, des mesures drastiques. En tout cas, la progression fulgurante de la maladie va amener l’État à prendre ses responsabilités : fermeture des frontières aériennes, maritimes et terrestres, interdiction des manifestations sociales et religieuses, fermeture des écoles, universités, mosquées et stades, état d’urgence doublé d’un couvre- feu (20H- 6H du matin), arrêt transport interurbain, limitation du nombre de places dans les transports collectifs, fermeture des marchés à certaines heures ou même durant plusieurs jours, exigence de port de masque dans les endroits publics et professionnels, promotion des gestes barrières (distanciation physique, lavage systématique des mains…), sanction de fake news concernant la pandémie, décision de ne pas rapatrier les sénégalais vivant en Chine… À côté de ces mesures, on peut relever le leadership du ministère de la santé traduisant une mobilisation exceptionnelle des professionnels du secteur, l’implication de tous les secteurs et acteurs clés et enfin, le rôle particulièrement dissuasif des forces de l’ordre. Un point de presse quotidien est organisé pour donner des informations sur l’évolution de la pandémie, un site internet est ouvert pour fournir de l’information à temps réel et des bulletins quotidiens sont également produits.
Au-delà de la mobilisation exceptionnelle des différents démembrements publics (ministères, institutions publiques, administration territoriale, collectivités territoriales…), l’action structurante de l’État sénégalais peut être appréciée à travers son programme dénommé « Programme de résilience économique et sociale. Mobilisation nationale et internationale pour abonder le Fonds de riposte et de solidarité face à la pandémie du COVID-19 » (Force-Covid-19). Estimé à hauteur de 1 000 milliards de Fcfa en vue de soutenir les ménages, les entreprises et la diaspora, le programme est décliné en quatre composantes : soutien au secteur de la santé (64 milliards), renforcement de la résilience sociale des populations à travers la distribution de denrées alimentaires (69 milliards), la subvention de factures d’eau et d’électricité durant un bimestre pour les ménages les plus vulnérables et enfin, le fonds dédié aux sénégalais de l’extérieur. La plus grande part de ce programme est réservée à divers types de soutien au secteur privé (entreprises, PME, secteurs les plus affectés comme l’hôtellerie, le transport, le secteur informel), à une remise partielle de dette fiscale, à la suspension de l’extension de la taxe sur la valeur ajoutée ou encore à des mesures d’exonération fiscale. Enfin, la quatrième composante essaie de garantir un approvisionnement régulier du pays en hydrocarbures, produits médicaux et denrées de première nécessité. Pour le financement de ce programme, un vaste appel à la solidarité nationale et internationale est lancé. Des contributions sous forme de prêt de partenaires (FMI, BOAD, BID, UE) ont été déjà signalées. Les institutions publiques, les ministres, des fonctionnaires de l’administration vont marquer leur solidarité à travers des contributions. Le leadership de l’État dans la lutte et la mobilisation contre la pandémie justifie le niveau de satisfaction élevé des sénégalais (89%) selon un sondage du bureau de prospective économique ainsi que le classement du Sénégal en termes de résilience face au COVID-19 au rang de 3ième mondial et de 1ier en Afrique. Finalement, le COVID-19 a permis à l’État sénégalais de réaffirmer sa mission de garant de la justice sociale, de l’intérêt général et de la solidarité nationale.
Toutefois, diverses interrogations commencent à émerger concernant l’approche de l’État, sa politique de communication de crise ainsi que le mode de gouvernance du programme de résilience. Une critique sourde porte sur l’approche de dépistage des cas déclarés positifs qui se limite à ces derniers et à leurs contacts. La nécessaire mise en œuvre d’une politique de dépistage massif même ciblé aux territoires épicentres de la pandémie et aux groupes à risques est de plus en plus revendiquée. Cette critique semble remettre en cause les résultats de la pandémie fournis dans le cadre des points quotidiens de presse du Ministère de la santé. En effet, la population mère semble être constituée par le nombre de cas signalés et non par rapport à une population globale des territoires cibles ou de tout le pays. Un tel état de fait ne garantit ni l’appréhension in situ de la courbe épidémiologique, ni l’identification des territoires foyers de propagation du virus et risque de négliger la grande majorité des sénégalais covito- ignorants qui continuent à circuler dans les rues sans connaître leur statut médical. C’est dire que le risque d’une sous- estimation du nombre de sénégalais contaminés par le COVID-19 reste réel tant qu’un dépistage massif et ciblé n’est pas réalisé. D’ailleurs, les autorités sanitaires semblent l’avoir compris après avoir constaté une relation directe entre l’augmentation des tests réalisés et celles des cas déclarés positifs. Certainement, les implications logistiques (infrastructures et équipements adéquats et suffisants) et médicales de ce dépistage massif n’autorisent pas l’État à aller dans ce sens. Quant à la politique de communication publique, malgré un point de presse quotidien sur l’évolution de la pandémie, elle semble atteindre son niveau de saturation avec des trous noirs tels les conditions de confinement et de soins pour les patients contaminés ainsi que pour les individus mis en quarantaine, les mesures de protection du personnel médical ainsi que la gestion psychologique du stress. En outre, n’étant pas interactif, le point de presse limité à la simple lecture des résultats des tests effectués au jour le jour, ne garantit pas une communication active. Enfin, la gouvernance du fonds de riposte risque d’ajouter à la crise sanitaire, une crise socio-politique. En effet, au-delà de la mobilisabilité des ressources faisant craindre une accentuation de l’endettement public, se posent de réelles interrogations sur plusieurs points: transparence dans le pilotage global du système, critères de répartition et d’arbitrage entre les secteurs d’activités et entre les acteurs cibles, processus de sélection des ménages bénéficiaires, approche de ciblage pour ne laisser personne pour compte, mécanismes de redevabilité des instances de répartition des dons, transparence dans la circulation de l’information notamment dans la traçabilité des fonds mobilisés et/ ou distribués…En tout état de cause, les vifs débats relatifs aux conditions de sélection des opérateurs concernant l’achat des denrées alimentaires et la location de véhicule pour leur transport ont failli déplacer l’attention des sénégalais sur les risques de la pandémie.
Les comportements des sénégalais en contexte de COVID-19
Malgré la propagation de la pandémie, une bonne partie des sénégalais tant en milieu urbain qu’en milieu rural semble avoir beaucoup de peine à changer leurs comportements du fait de représentations sociales dénotant une faible perception du risque. Si le discours populaire au début de la pandémie faisait référence aux croyances religieuses qui présentent le Sénégal comme un pays protégé par de grands hommes de Dieu, par la suite, il se transformera en un fatalisme que systématise ici un leader religieux :
« Le coronavirus n’est rien d’autre qu’une « bala », une sanction de Dieu face à la dépravation des mœurs, le viol des interdits, le libertinage, les nombreux pêchés, le culte des contre valeurs, la destruction des liens sociaux…Lorsque Dieu sanctionne, il n’épargne personne. Nous êtres humains, nous sommes envoyés sur terre par Dieu pour l’adorer en respectant ses prescriptions tout en évitant ses interdits. Les virus sont comme nous : ce sont des êtres vivants qui obéissent au commandement de Dieu. Personne ne peut rien contre eux tant que leur mission divine n’est pas terminée. La seule solution que nous avons c’est la prière et l’offrande… »
Les perceptions populaires du risque combinent représentations sociales, valeurs, croyances, attitudes, influences sociales, mais également pratiques sociales courantes qui en retour, risquent d’augmenter le niveau de risque. Il s’agit d’une part, de la sociabilité ambiante appréciable à travers une forte mobilité des individus, une vie à l’extérieur des maisons, la primauté aux contacts physiques dans les nombreux rites d’interaction, la promiscuité résidentielle avec plusieurs ménages partageant une concession, l’insalubrité notamment des rues, la vente d’aliments ou de produits alimentaires divers en pleine rue… D’autre part, la prépondérance de l’économie informelle qui mobilise plus de 75% de la population autour d’activités génératrices de revenu qui les prédisposent à vivre au jour le jour dans une économie de la débrouille sans capacité d’épargne pour faire face aux risques et catastrophes, a posé de vifs débats sur l’applicabilité des mesures de confinement en contexte de précarité. D’autant plus que le système officiel de protection sociale au Sénégal ne couvre que 18% de la population active, excluant les acteurs du secteur informel et du secteur primaire (agriculture, élevage et pêche) ainsi que les populations démunies. En tout état de cause, la persistance des comportements de rechute avec la reproduction des comportements à risques et la sénilité précoce des gestes barrières ont démontré que la diffusion à grande échelle de l’information sur les risques concernant la pandémie n’a pas foncièrement suffit pour aboutir à une modification des comportements des sénégalais, même si une situation de « presque confinement de fait » a été relevée, notamment chez les classes instruites, les milieux des affaires, les fonctionnaires du secteur public et privé.
Il reste que la persistance des comportements à risques, loin de se limiter à des gestes d’indiscipline ou d’insouciance individuelle et communautaire, peut également être analysée comme révélatrice d’une défiance de l’État ou encore, de la dissonance épistémique entre discursivité médico- institutionnelle et dynamiques des interactions symboliques communautaires. A ce propos, subsiste un conflit de références épistémiques entre d’une part, la proximité sociale ambiante, la culture de salutation physique, le mode de vie à l’extérieur des maisons (soit dans la rue, soit, dans les espaces publics…) et d’autre part, les comportements prônés en contexte de COVID-19 en termes de distanciation physique et sociale, de confinement chez soi, d’évitement social du moment où ils induisent une différenciation entre soi et les autres (y compris sa propre famille) comme gage de la sécurité individuelle et collective. Prônant l’évitement de toute personne à risque, la pandémie du COVID-19 questionne le rapport à soi, à ses proches et aux autres, ce qui peut induire divers inconforts individuels et collectifs dans une société de la téranga (hospitalité) et de la sociabilité.
Les actes de philanthropie en contexte de COVID-19 au Sénégal
Si la philanthropie peut être assimilée à la mise à disposition de ressources privées au profit de l’intérêt général ou du bien commun, en contexte africain, il sera difficile de séparer les actions philanthropiques des gestes de solidarité. Souvent peu structurées, les actions philanthropiques passent peu par les fondations ou par les organismes sans but lucratif pour épouser les contours des réseaux sociaux qui, par ailleurs traduisent plus une recomposition qu’une reproduction des formes traditionnelles de solidarité. Ce positionnement épistémologique annoncé, il est possible de repérer, en excluant l’État, une pluralité d’actions philanthropiques dans le contexte du COVID- 19 au Sénégal.
L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), la Fondation des Nations Unies, la Fondation Suisse de philanthropie et leurs partenaires ont lancé le tout premier Fonds de réponse et de solidarité pour le nouveau coronavirus avant que l’État ne systématise un plan de prévention et de contingence, transformé plus tard en un programme de résilience économique et sociale face à la pandémie.
Au sein des institutions publiques, les ministres, les députés, les membres du personnel ont apporté des contributions personnelles versées à la force COVID-19. Les hommes politiques ainsi que les hauts fonctionnaires sont souvent sollicités par leur base sociale pour des actions de solidarité en période de crise. Les collectivités territoriales ont apporté un appui varié en fonction de leurs moyens. Certaines ont contribué au fonds de riposte, tandis que d’autres ont préféré distribuer directement leurs apports, soit aux populations démunies, soit aux services territoriaux de l’État (hôpitaux, service de l’hygiène, préfecture). La mairie de la capitale, en plus des 100 millions de Fcfa remis à l’État, a déboursé 60 millions en matériel de protection destinés aux hôpitaux de Dakar et 25 millions destinés à des opérations de désinfection des lycées et collèges. La Mairie de Mermoz Sacré Cœur a mobilisé 150 millions en denrées pour les ménages indigents de la ville alors que certaines collectivités locales se sont illustrées par des dons en denrées, en masques ou en produits antiseptiques en direction des daaras[3], des ménages, des individus. Certains maires se sont engagés à renoncer à leurs indemnités mensuelles pendant une période déterminée en soutien à la riposte. L’association des maires et des présidents de départements du Sénégal a remis une contribution significative de 1,6 milliards de Fcfa au nom des élus.
L’intervention du secteur privé dans l’appui à la riposte contre le COVID-19 a donné naissance à une vague d’indignation à la fois des autorités de l’État et des populations. Il s’agit plutôt d’une contribution contrastée. Certains grands capitaines du secteur privé national ont contribué de manière décisive (deux hommes d’affaires sénégalais ont donné chacun 1 milliard de Fcfa) à côté de beaucoup de PME et PMI. Par contre, la contribution du secteur privé international, s’activant sur les bâtiments travaux publics, les secteurs à forte valeur ajoutée ou sur le pétrole récemment découvert au Sénégal, a été jugée dérisoire. Par exemple, cinq entreprises du pétrole ont contribué au total à hauteur de 5 millions de Fcfa. La commune de Méhouane (Thiès) a même refusé de réceptionner l’appui des industries chimiques du Sénégal (ICS) parce jugé dérisoire au regard du chiffres d’affaires de ce multinationale (75 cartons javel, 75 cartons savons et 5 cartons gel). Quant aux entreprises françaises, elles ont attiré l’attention des plus hautes autorités, des populations et des journaux sur leur faible sensibilité à la lutte contre le COVID-19 malgré leur position de quasi- monopole dans tous les secteurs à haute valeur ajoutée de l’économie nationale. Si certaines n’ont à ce jour pas fait état de leur contribution (Eiffage, Bolloré, Canal+, Sen eau, Cfao…), d’autres n’ont pas démontré une grande générosité (Total pour 10 millions, Orange pour 250 millions). Un tel état de fait a vivement ranimé le sentiment anti capitaliste étranger des sénégalais. Toutefois, des entreprises comme la compagnie sucrière sénégalaise, les Ciments du Sahel, la Compagnie Sabadola ont démontré une grande sensibilité.
Des fondations nationales ont également contribué en termes de dons en matériels de lutte, de campagnes de sensibilisation, de spot publicitaires, en rapport avec leur domaine d’activité. La Fondation de la banque UBA a offert 140 millions à la force COVID 19, celle de la SONATEL a promis une contribution de 1,5 milliards en termes de renforcement de la connectivité, alors que la Fondation Total a versé un don de 100 millions en carburant. Certaines de ces contributions sont difficilement repérables. Signalons que le Sénégal ne connaît pas une tradition de fondations très actives. On peut noter par ailleurs l’intervention quasi absente des organisations non gouvernementales pourtant connues dans la lutte contre les crises et pour leur démarche de proximité avec les communautés.
Une contribution significative de sportifs sénégalais de haut niveau évoluant à l’étranger dans les championnats de football (Angleterre, France, Italie) ou de basket ball (USA) a été relevée. Des guides religieux, des entrepreneurs sociaux individuels, des associations socio-professionnelles, des organes de presse (à travers l’organisation de téléthon), des syndicats de transporteurs et d’enseignants (à travers des souscriptions volontaires de leurs membres) ont également apporté des contributions au fonds de riposte. Une contribution significative de la philanthropie religieuse a été relevée à travers la contribution d’élites religieuses (hommes et femmes), l’offre de services sociaux à des groupes vulnérables (talibés, pauvres…) et une forte conscientisation des sénégalais sur le devoir de solidarité. Ainsi, de manière spontanée et sous l’influence de guides religieux, beaucoup de dons en denrées alimentaires ont circulé au sein des réseaux de sociabilité.
Au niveau communautaire, la solidarité a beaucoup joué entre parents, entre connaissances ou entre voisins au sein d’un même quartier. Cette solidarité fortement ancrée socialement, ne concerne pas seulement une compassion des riches envers les pauvres, mais épouse les contours des relations sociales : même les plus démunis n’hésitent pas à aider notamment à travers des repas solidaires ou par le don de denrées alimentaires. Il s’agit d’une philanthropie à la fois verticale (entre riches et pauvres) et horizontale (réciprocité entre personnes partageant souvent des relations de sociabilité). Même s’il s’agit plus d’une solidarité de survie que d’un mode de soutien à l’entrepreneuriat, ces actions restent génératrices de lien social et de cohésion sociale. Toutefois, ces gestes, difficilement retraçables, restent en-deçà de l’ampleur des conséquences socio-économiques de la pandémie en termes de pertes d’activités économiques et de revenu. En réalité, la solidarité communautaire s’est vite essoufflée du moment où les nombreuses restrictions ainsi que le ralentissement de la vie ont entrainé une perte d’activités et de revenu dans tous les secteurs de la vie. C’est le cas notamment pour certains groupes sociaux tels les talibés mendiants qui ont beaucoup souffert de l’amenuisement des systèmes de solidarité qu’accentue le couvre- feu.
La philanthropie internationale s’est manifestée à travers des contributions en équipements pour les services du ministère de la santé de la part de certaines ambassades telles la Chine, des pays comme les États Unis, le Royaume Arabe Uni… C’est dans ce cadre que Jack Ma, le fondateur du site d’e-commerce Alibaba, a promis 100 000 masques, 20 000 kits de dépistage et 1 000 combinaisons de protection” à chacun des 54 pays africains. Par contre, une vive réaction est notée contre la philanthropie capitaliste qui profite de la misère des populations pour faire du marketing humanitaire. Les vives réactions des intellectuels, des populations et de la plupart des Etats concernant le projet d’effectuer des tests en Afrique d’un vaccin contre le coronavirus alors que l’épicentre de la pandémie se trouve dans les pays de fabrication de ces vaccins, ont attiré l’attention sur les risques de covid- business. Au-delà de ce débat, ce sont les projections catastrophiques de l’OMS et de certains médias occidentaux à la fois sur la situation épidémiologique de l’Afrique ainsi que sur les conséquences socio-politiques et économiques désastreuses de la pandémie qui ont alimenté un certain dépit dans un continent qui jusqu’à présent, a démontré beaucoup de capacités de résilience face au COVID- 19, en termes de nombre de personnes testées positives et de nombre de malades soignés et guéris par des médecins africains. De plus en plus d’africains se demandent comment des systèmes de santé de pays se présentant souvent en modèle se sont écroulés si vite en termes de nombre de personnes contaminées et de nombre de morts. C’est pourquoi, certains commencent à se demander si le coronavirus ne serait pas une opportunité pour l’Afrique de chercher sa propre voie en faisant plus confiance en ses ressources humaines et en ses capacités. Dans ce cadre, la pandémie a été une source d’innovations techniques pour des étudiants (École polytechnique), des artisans, des universitaires: création de respirateurs artificiels par des chercheurs de l’Université de Thiès, fabrication certifiée de gel hydro alcoolique, d’équipements de lavage des mains avec toutes les commodités et surtout sans risque de propagation de la maladie, confection de masques par des tailleurs…
En perspective
S’il reste difficile d’étudier sur un fait social en cours de déroulement, il est possible de dégager quelques tendances sous forme de postulats qui devront toutefois attendre la fin de la pandémie pour être confirmés. En cela, l’analyse de l’action de l’État, des changements de comportements en contexte de pandémie présentant un taux élevé de contagiosité, ou encore des actions de philanthropie et de solidarité peut apporter des pistes intéressantes de réflexion sur les réactions de diverses catégories d’acteurs. Des questions importantes restent en suspens et méritent des approfondissements. Les conditions de traitement des personnes contaminées, les préalables, conditions et modalités du confinement en contexte africain, l’analyse de la philanthropie et de la solidarité communautaire en contexte de pandémie mérite des compléments pas encore disponibles, l’action de l’État et la communication gouvernementale en période de crise, le rapport entre la perception du risque et les changements de comportements, la distribution territoriale de la maladie, la gestion de la diaspora en contexte de COVID- 19, les facteurs explicatifs de la résilience des pays africains au regard de la situation épidémiologique de certains pays occidentaux, les approches de ciblage des populations vulnérables… Enfin, jusqu’où le coronavirus pourrait être interprété comme une pandémie qui, loin des aspects sanitaires, serait une opportunité pour procéder à de véritables ruptures dans l’organisation et le fonctionnement de l’État, de la société et de l’économie, bref du mode de régulation en crise constante mais toujours en place ?
UGB de Saint- Louis (SENEGAL)
Saint- Louis, Avril 2020