Benjamin Bellegy est directeur général de WINGS, un réseau mondial de plus de 180 organisations soutenant et développant la philanthropie, le don et l’investissement social privé dans 60 pays. Il a précédemment dirigé des programmes internationaux dans des domaines tels que le renforcement des sociétés civiles, le développement durable ou la reconstruction post-désastre. Gestionnaire de programmes internationaux à la Fondation de France, il a également travaillé pour l’Agence de Coopération Internationale de Monaco et pour plusieurs ONG en Éthiopie, en Tunisie et au Canada. Benjamin a obtenu un diplôme en sciences politiques et un master en gestion des organisations à but non lucratif à l’Institut d’études politiques de Grenoble, ainsi qu’un master en sciences de la communication et de l’information à l’Université Stendhal de Grenoble.
Entrevue par Jean-Marc Fontan
Jean-Marc Fontan (JMF) : En quoi la question des changements climatiques représente un enjeu important pour WINGS ?
Benjamin Bellegy (BB) : WINGS est un réseau international qui regroupe 190 réseaux, associations et autres organisations d’appui au développement de la philanthropie dans le monde. Historiquement, nous sommes agnostiques en termes de cause, notre mission étant focalisée sur le renforcement de la philanthropie en général, comme catalyseur du progrès social.
Cette année, pour la première fois, nous avons décidé d’agir sur la question du changement climatique en mobilisant notre réseau qui touche indirectement 100 000 organisations philanthropiques. À cette fin, nous avons lancé l’initiative International philanthropy commitment on climate change. Cette mobilisation vise à engager les fondations dans leur ensemble, quelle que soit leur taille et mission, pour qu’elles intègrent la question climatique à tous les niveaux, notamment dans leurs opérations, l’allocation de leurs ressources, leurs investissements, leur capacité d’influence.
Avec nos membres, nous nous sommes lancés dans cette grande mobilisation mondiale car l’urgence climatique est telle qu’elle concerne l’ensemble du secteur et non seulement les fondations dédiées aux questions environnementales. Notre position unique comme réseau global nous donne une responsabilité d’agir et nous sommes ravis de constater que nos membres sont particulièrement mobilisés. Plus de 40 réseaux de fondations ont contribué à l’élaboration du texte.
Au Canada, Fondations philanthropiques Canada (FPC) et Fondations communautaires du Canada (CFC), membres de WINGS, ont été inspirés par notre initiative et se sont alliés pour adapter le texte au contexte national canadien afin de mobiliser le secteur philanthropique. Nous espérons que les fondations canadiennes répondront massivement à l’appel qu’elles lanceront. Le Commitment est une invitation à démarrer un trajet et propose aux signataires d’apprendre les uns des autres.
JM : En quoi cette question peut et doit structurer le développement des écosystèmes nationaux support à l’action philanthropique ?
BB : Philanthropie signifie amour de l’humanité. Quelle que soit la mission d’un acteur philanthropique, ce qui sous-tend son action est toujours l’idée d’améliorer le vivre ensemble en société et de contribuer au bien commun. Compte tenu de la menace existentielle que représentent les changements climatiques pour l’humanité, nous croyons que tout acteur philanthropique a un rôle à jouer, aussi modeste soit-il, pour contribuer au changement dont nous avons besoin. L’impact de l’urgence climatique se fait déjà sentir dans de très nombreux domaines, tels que la justice sociale, les migrations, la paix, les systèmes alimentaires…
Les solutions sont à trouver par la réorganisation de nos économies, la diminution des inégalités, l’éducation des générations futures… Cela nous montre qu’une mobilisation générale du secteur est nécessaire. Cette mobilisation demande d’aller au-delà des cercles de spécialistes de l’environnement. La mobilisation permettra de plus à chacun de mieux accomplir sa propre mission en adoptant une approche holistique.
Bien entendu une mobilisation générale requiert un effort de coordination, de sensibilisation, mais aussi des espaces d’apprentissages et de partage, que seul un écosystème philanthropique d’appui fort et organisé peut procurer. Il est donc essentiel que les réseaux de fondations et autres acteurs de l’écosystème prennent une position de leadership, se coordonnent et soutiennent avec vigueur cet effort pour catalyser un véritable mouvement collectif. Nous sommes heureux de constater que c’est le cas au Canada, l’un des pays ou les enjeux climatiques sont les plus prégnants au monde.
JM : Quel rôle pour les acteurs philanthropiques sur l’enjeu des changements climatiques et de la protection de l’environnement ?
BB : La philanthropie subventionnaire peut jouer un rôle catalytique en mobilisant sa capacité à prendre des risques, à soutenir l’innovation, à appuyer les mouvements sociaux, à aider les communautés locales à pouvoir développer des réponses adaptées localement, à influencer les politiques publiques, à appuyer les réflexions et expérimentations de nouveaux modèles économiques et en aidant la société à augmenter la pression sur les décideurs…
Il est important de considérer non seulement l’allocation de subventions, mais aussi les placements du capital des fondations, i.e., la gestion de leurs dotations sur les marchés financiers. Au niveau mondial, les fondations représentent environ 1,5 millier de milliards de dollars en capital. De cette réserve, 150 milliards, sous forme de dividendes, sont redistribués annuellement sous la forme de dons ou de subventions. La question de l’investissement du capital philanthropique représente un levier très important. Il est présentement sous utilisé.
JM : Les Conférences des parties (COPs) représentent-elles une forme de mobilisation pour aller dans la direction préconisée par WINGS ?
BB : Les COPs sont des moments essentiels pour définir, suivre et accélérer les engagements des gouvernements. Elles sont aussi l’occasion, pour les organisations de la société civile, d’influencer les décideurs. Selon les données scientifiques générées à l’échelle internationale, en autre par le GIEC, les COPs démontrent clairement que les engagements pris sont systématiquement en deça de ce que la situation requiert.
Il importe d’utiliser les COPs, dont COP 26 qui aura lieu à Glasgow entre le 1er octobre et le 12 novembre 2021, comme des moments privilégiés d’action et de montée en visibilité de l’enjeu climatique et environnemental dans l’agenda publique.
La solution climatique repose sur un engagement élargi des acteurs sociaux et une pression continue à exercer à tous les niveaux de la société, y compris au niveau des acteurs philanthropiques.
Personnellement, je suis encouragé par l’intérêt que soulève notre appel au Commitment et je crois que la philanthropie subventionnaire peut être aux avant postes du changement. Elle peut le faire en appuyant les communautés au niveau local, mais aussi en influençant les politiques et en soutenant des modèles alternatifs de vivre ensemble qui seuls pourront véritablement modifier le cours des choses a l’échelle requise et au rythme nécessaire. Dans cette bataille, chacun a un rôle à jouer en fonction de son propre contexte et de son échelle de travail.
JM : Grand merci Benjamin pour cette entrevue et invitation à nous commettre pour l’environnement et la sauvegarde de la planète.
This article is part of the special edition of October 2021 : Philanthropy & COP26. You can find more information here