En juillet 2019, le nouveau gouvernement Parti conservateur de l’Alberta a lancé une enquête publique sur » les sources de financement étrangères derrière la campagne énergétique anti-Alberta » (gouvernement de l’Alberta 2019). La raison d’être de l’enquête repose sur les affirmations de blogueurs conservateurs comme Vivian Krause, selon lesquelles le mouvement environnemental du Canada serait financé et influencé par l’étranger. L’enquête controversée de l’Alberta a suscité des critiques dans tout le pays, certains commentateurs l’assimilant au maccarthysme environnemental (Corcoran, 19 septembre 2019). Dans une récente lettre adressée au commissaire à l’enquête, la Foundation Muttart basée à Edmonton a exprimé sa crainte concernant les atteintes à la démocratie et l’installation d’un climat de peur (Weber, 15 novembre 2019).
On a beaucoup parlé de l’affirmation selon laquelle le mouvement environnemental du Canada est financé par des bailleurs de fonds étrangers – et surtout américains. Pour les critiques, la suggestion d’un financement étranger est un moyen de délégitimer les militants du climat en remettant en question l’ampleur de leur soutien public au Canada. Mais combien de preuves y a-t-il vraiment derrière cette affirmation ?
En fait, très peu. Cet article fournit des données sur le financement étranger et les organismes de bienfaisance canadiens à vocation environnementale. Il démontre que la grande majorité (95 %) des organismes de bienfaisance environnementaux ne reçoivent aucun financement étranger. Il est encore plus rare que les organismes de bienfaisance environnementaux reçoivent des montants importants de financement étranger. Seulement 2% des organismes de bienfaisance environnementaux tirent plus du tiers de leur revenu total de l’étranger. Dans l’ensemble, le financement provenant de l’extérieur du Canada représente 6% des revenus du secteur. Les 94 %restants proviennent de sources philanthropiques, gouvernementales et commerciales canadiennes.
Données et méthodes
À l’automne 2019, j’ai demandé à l’Agence du revenu du Canada (ARC) des données sur les déclarations de renseignements annuelles des organismes de bienfaisance environnementaux. L’information que j’ai reçue portait sur 2017 et 2018. Bien que les résultats soient globalement similaires, je me concentre ici sur les données de 2017 car elles sont plus complètes.
Petite précaution: cet ensemble de données ne couvre que les groupes environnementaux qui sont enregistrés à titre d’organismes de bienfaisance au Canada. De nombreux organismes à but non lucratif, y compris les groupes de citoyens informels, n’ont pas le statut d’organisme de bienfaisance. Selon une étude réalisée en Ontario, environ un tiers du secteur est composé d’OBNL officiellement constitués en société qui ne sont pas des organismes de bienfaisance enregistrés (Pollara 2013)[1] Cependant, nous avons du mal à trouver des données sur ces organismes car ils ne sont pas exonérés d’impôt et ne sont donc pas tenus de produire une déclaration annuelle de renseignements. Bien qu’il nous manque donc quelques acteurs dans cet ensemble de données, de nombreux acteurs clés sont présents. De nombreuses organisations que les négationnistes déplorent – – Tides Canada, Y2Y, Environmental Defence Canada, and Ecojustice –sont des organismes de bienfaisance enregistrés.
Le financement étranger est rare pour les organismes de bienfaisance environnementaux
Le Canada compte 1 372 organismes de bienfaisance dans le domaine de l’environnement – ce sont des organismes de bienfaisance qui inscrivent l’environnement comme l’un de leurs trois principaux secteurs de programme[2]. La grande majorité des organismes de bienfaisance dans le domaine de l’environnement ne sont ni politiquement actifs ni financés à l’extérieur du Canada. En 2017, seulement 5% des organismes de bienfaisance environnementaux (62) ont reçu du financement de l’extérieur du Canada.
Comme d’autres organismes de bienfaisance, la plupart des organismes de bienfaisance environnementaux se financent eux-mêmes grâce à une combinaison de revenus philanthropiques, gouvernementaux et commerciaux nationaux. Leur principale source de financement est la philanthropie nationale. En moyenne, les organismes de bienfaisance environnementaux ont reçu 44 % de leur financement de sources philanthropiques nationales – collecte de fonds, dons et subventions d’autres organismes de bienfaisance. Viennent ensuite les recettes gouvernementales, qui représentent en moyenne 22 % des budgets des organismes de bienfaisance environnementaux. Enfin, les sources commerciales de revenus comme les cotisations des membres, les frais d’utilisation, la vente de biens et les intérêts représentaient en moyenne 19 % des revenus des organismes de bienfaisance environnementaux. En revanche, le financement étranger ne représentait en moyenne que 2 % des revenus des organismes de bienfaisance environnementaux. L’organisme de bienfaisance environnemental médian ne reçoit aucun financement étranger.
S’il est rare que les organismes de bienfaisance environnementaux reçoivent un financement étranger, il est encore plus rare que ce financement soit substantiel. Seulement 2% des organismes de bienfaisance environnementaux (33) reçoivent un financement étranger important, qui, selon moi, représente plus du tiers de leurs revenus totaux provenant de l’extérieur du Canada. Il est donc rare que les organismes de bienfaisance environnementaux reçoivent du financement étranger, et encore moins que ce financement soit une source importante de revenus.
Les organismes de bienfaisance environnementaux mènent rarement des activités politiques
Très peu d’organismes de bienfaisance environnementaux se sont livrés à des activités politiques[3]. Au total, 78 organismes de bienfaisance environnementaux (6 %) ont déclaré des activités politiques dans leur déclaration de 2017. Les organismes de bienfaisance environnementaux peuvent être légèrement plus actifs sur le plan politique que le secteur des organismes de bienfaisance en général : en 2015, par exemple, 0,66 % des organismes de bienfaisance canadiens ont déclaré des activités politiques[4]. Néanmoins, la vaste majorité des organismes de bienfaisance environnementaux ne sont pas actifs sur le plan politique.
Foreign Funding of Environmental Nonprofits
Au sein du petit groupe de 78 organismes de bienfaisance environnementaux politiquement actifs, 24 ont reçu un financement étranger. Le financement étranger est relativement plus probable pour les organismes de bienfaisance environnementaux politiquement actifs, ce qui est une constatation intéressante. Cela pourrait être dû aux limites d’obtenir du financement philanthropique pour activisme. Cependant, la plupart de ces organismes de bienfaisance ne reçoivent pas beaucoup de financement étranger. Le nombre total d’organismes de bienfaisance environnementaux qui sont politiquement actifs et qui reçoivent un financement étranger important ne sont que huit, soit 1%de tous les organismes de bienfaisance environnementaux.
De ce nombre, la plupart sont axés sur les pêches, les voies navigables et la conservation des oiseaux. Plus précisément, les huit organismes de bienfaisance politiquement actifs qui reçoivent un financement étranger important sont : Canards Illimités Canada, Fondation Tides Canada, Fédération du saumon atlantique du Canada, Nature United, Oceana Canada, Georgia Strait Alliance, Watershed Watch Salmon Society et T. Buck Suzuki Environmental Foundation.
Les organismes de bienfaisance environnementaux bénéficiant d’un financement étranger important ont financé seize organismes de bienfaisance environnementaux politiquement actifs, pour un total de 1,4 million de dollars.
Évidemment, les subventions accordées par des organismes de bienfaisance canadiens ayant reçu un financement étranger à d’autres organismes de bienfaisance canadiens dans le domaine de l’environnement n’est pas considéré par les organismes de bienfaisance bénéficiaires comme du financement étranger. Mais cela peut quand même nous éclairer sur la façon dont le financement étranger influence le secteur.
Selon les données de 2017, les organismes de bienfaisance environnementaux à financement étranger ne sont habituellement pas des bailleurs de fonds. Des 33 organismes de bienfaisance environnementaux qui reçoivent un financement étranger important, seulement sept financent d’autres organismes de bienfaisance ( » donataires reconnus « ). Aucune subvention n’était destinée à des activités politiques[1] Et la plupart de ces sept organismes de bienfaisance n’ont fourni qu’une poignée de subventions, comme le révèlent leurs feuilles de travail sur les donataires reconnus de 2017. Seule la Fondation Tides Canada a financé plus de dix organismes (119 donataires au total).
Au total, les organismes de bienfaisance environnementaux bénéficiant d’un financement étranger important ont fait des dons à seize organismes de bienfaisance environnementaux politiquement actifs, totalisant seulement 1,4 million de dollars en tout. Ces dons provenaient principalement de la Fondation Tides Canada (qui a financé quinze des seize groupes). Bien que la Fondation Tides Canada se concentre sur l’environnement, le financement de l’organisme a été versé à un éventail de groupes, allant des écoles aux lignes d’aide aux personnes en deuil, à la recherche sur le cancer et aux banques alimentaires. Nature United a financé deux organismes de bienfaisance environnementaux politiquement actifs, tandis que la Watershed Watch Salmon Society en a financé un. Dans tous les cas sauf deux, ce financement représentait moins d’un dixième du revenu total de l’organisme de bienfaisance bénéficiaire pour l’année.
De la poudre aux yeux
Il n’y a aucune preuve à l’appui de l’allégation selon laquelle le mouvement environnemental du Canada appartient à des intérêts étrangers et est influencé par des intérêts étrangers. Les groupes environnementaux canadiens sont en très grande majorité soutenus par des fonds nationaux. Bien qu’il y ait quelques organismes de bienfaisance environnementaux reçoivent un financement étranger important, ils ne représentent que 2 % du secteur.
Il est important de situer ces résultats dans un contexte plus large. L’industrie des combustibles fossiles domine les groupes environnementaux dans le lobbying : entre 2011 et 2018, les lobbyistes de l’industrie des combustibles fossiles ont eu cinq fois plus de contacts avec les représentants du gouvernement que les organismes environnementaux à but non lucratif (Graham, Carroll et Chen 2019)[9]. 80 % du lobbying du Sénat sur le projet de loi C-69 – la loi qui réforme le régime canadien d’évaluation environnementale – a été effectué par le secteur pétrolier et gazier (Riley 13 juin 2019). Et bien que la réglementation canadienne sur le lobbying n’exige pas la divulgation des dépenses de lobbying, les données d’autres pays indiquent que les producteurs de combustibles fossiles dépensent beaucoup plus que les groupes environnementaux (Brulle 2018).
Bien qu’en théorie, la démocratie canadienne puisse être minée par un groupe politiquement puissant d’organismes sans but lucratif financés à l’extérieur du Canada, ce n’est tout simplement pas la réalité. Les organismes de bienfaisance environnementaux sont en très grande majorité soutenus par des sources de financement nationales, principalement la philanthropie. Les quelques organismes de bienfaisance environnementaux qui sont politiquement actifs ne reçoivent généralement pas de financement étranger. Une fois que nous avons examiné les données, nous constatons que seulement huit organisations sont à la fois actives sur le plan politique et reçoivent un financement étranger important. La plupart de ces groupes se concentrent sur la préservation d’une espèce ou d’un cours d’eau particulier. Et seulement cinq de ces groupes font du lobbying auprès du gouvernement.
En termes simples, le bruit qui court selon lequel les organismes de bienfaisance environnementaux sont financés à l’étranger ne résiste pas à un examen minutieux. Une menace beaucoup plus grande pour la démocratie émane de l’influence politique des entreprises d’énergies fossiles, dont la plupart sont des propriétés étrangères (Carroll et Huijzer 2018).
Vous voulez en apprendre plus sur les liens entre philanthropie et démocratie? Consultez notre dernière édition spéciale: Philanthropie et démocratie.reign Funding of Environmental Nonprofits
Brulle, Robert. (2018). The Climate Lobby: a Sectoral Analysis of Lobbying Spending on Climate Change in the USA, 2000 to 2016. Climatic Change 149(3-4), 289-303.
Canada Revenue Agency. (2019). Public Policy Dialogue and Development Activities by Charities. Government of Canada, https://www.canada.ca/en/revenue-agency/programs/about-canada-revenue-agency-cra/federal-government-budgets/budget-2018-equality-growth-strong-middle-class/public-policy-advocacy-activities-charities/qa.html accessed 25 November 2019.
Carroll, William and Huijzer, M. Jouke. (2018). Who Owns Canada’s Fossil-Fuel Sector? Mapping the Network of Ownership and Control. Vancouver, BC: Canadian Centre for Policy Alternatives, https://d3n8a8pro7vhmx.cloudfront.net/parklandinstitute/pages/1656/attachments/original/1539711476/who_owns.pdf?1539711476 accessed 25 November 2019.
Corcoran, Terence. (19 September 2019). Inquiry into Foreign Funding of Anti-Alberta Energy Campaigns Could Shake Up Enviro Charities. Financial Post opinion article, https://business.financialpost.com/opinion/terence-corcoran-inquiry-into-foreign-funding-of-anti-alberta-energy-campaigns-could-shake-up-enviro-charities accessed 25 November 2019.
Government of Alberta. (2019). Public Inquiry into Anti-Alberta Energy Campaigns. Government of Alberta, https://www.alberta.ca/public-inquiry-into-anti-alberta-energy-campaigns.aspx accessed 25 November 2019.
Graham, Nicolas, Carroll, William, and Chen, David. (November 2019). Big Oil’s Political Reach: Mapping Fossil Fuel Lobbying from Harper to Trudeau. Vancouver, BC: Canadian Centre for Policy Alternatives.
Pollara. (2013). 2013 State of the Sector: Profile of Ontario’s Not-for-Profits and Charitable Organizations. Report Commissioned by the Government of Ontario Ministry of Citizenship and Immigration, https://www.ontario.ca/page/2013-state-sector-profile-ontarios-not-profits-and-charitable-organizations-volume-1-overall-report accessed 25 November 2019.
Riley, Sharon. (13 June 2019). Industry Responsible for 80 Per Cent of Senate Lobbying Linked to Bill C-69. The Narwhal, https://thenarwhal.ca/industry-responsible-for-80-per-cent-of-senate-lobbying-linked-to-bill-c-69/ accessed 25 November 2019.
Weber, Bob. (15 November 2019). ‘Anti-Albertan’ Inquiry Creates Culture of Fear, Says Longtime Edmonton Charity. CBC News, https://www.cbc.ca/news/canada/edmonton/edmonton-muttart-foundation-alberta-inquiry-1.5360598 accessed 25 November 2019.
[1] Nonprofits can also be informal and unincorporated – but these organizations tend to be small and locally-based. For these reasons, they are unlikely to receive foreign funding.
[2] Meaning that they selected G1, G2 or G3 as program area codes for at least one of the three program areas. Of these, only 780 are primarily environmental charities, meaning that they estimated that more than 50% of their programming is focused on environmental program areas. Others may have carried out environmental activities but were more focused on other program areas (such as health, education, or social services).
[3] Political activities must be non-partisan, and before 2018 could generally not exceed 10% of a charity’s resources. New rules have been issued around the political activities of charities, but the 2017 data predate these changes (Canada Revenue Agency 2019).
[4] This was, however, in a period of significant advocacy chill due to concern about the interpretation of political activities. In the late 1990s as much as 5% of the charitable sector reported political activities.
[5] Based on a search of the Government of Canada Register of Lobbyists on 25 November 2019.
[6] Based on the organizations’ 2017 T1236 Qualified Donees worksheets.
[7] Tides Canada Foundation was not in the lobby register; however, the linked Tides Canada Initiatives was.
[8] This is a specific question on the T1236.
[9] Graham, Carroll and Chen found, using data from the public lobby register, that the fossil fuel industry had 11,452 lobbying contacts with government officials between 2011 and 2018 – roughly six contacts per working day! The same study finds that environmental nonprofits had 2,399 lobbying contacts.