Modalités brésiliennes de soutien aux organismes philanthropiques par la voie de la fiscalité

Par Lidia Eugenia Cavalcante , Professeure titulaire au département de sciences de l’information à l’Université fédérale du Ceará au Brésil
17 janvier 2024

Dans ce court texte, nous présentons le cadre d’action en matière de politiques publiques à portée philanthropique1 visant l’amélioration de la situation économique et sociale des personnes vulnérables au Brésil2.

Diverses modalités, relativement récentes, existent afin de mobiliser des ressources publiques brésiliennes en appui au travail d’organisations philanthropiques. Ces modalités sont conçues dans l’optique de renforcer l’action de l’État. Parmi les politiques publiques en place, notons les politiques visant le développement de collaborations sous la forme d’ententes ou de partenariats entre des organisations philanthropiques et des entités publiques. Ces collaborations ont pour objet le financement d’activités promues par des fondations de bienfaisance privées en matière d’assistance et de mobilisation de ressources.

L’élément fondateur de la relation entre des fondations subventionnaires ou opérationnelles et l’État central au Brésil repose sur des déductions fiscales. Une première expérience notable est la création, en 1986, du Fonds de promotion culturelle, également connu sous le nom de Loi Sarney. Ce fonds a été instauré dans le but de stimuler les investissements privés support aux productions artistiques brésiliennes. Il faut attendre le début des années 1990 pour que le gouvernement fédéral ait véritablement orienté ses politiques vers des mesures qui ne se limitaient plus au domaine culturel.

En 1991, la loi Sarney a été remplacée par le Programme national de soutien à la culture (PRONAC), lequel a pris le relais en tant que principal mécanisme d’encouragement à la production culturelle brésilienne. En 1999, sous le gouvernement de Fernando Henrique Cardoso, des ajustements majeurs ont été apportés aux lois sur les incitations fiscales. De plus, des changements significatifs ont été observés sous l’administration de Luiz Inácio Lula da Silva (2003-2010).

En 2013, les transferts de ressources fédérales aux organisations du tiers secteur représentaient 0,53 % du PIB brésilien, totalisant 8,3 milliards de réal3. La crise économique qui a frappé le Brésil en 2014 a entraîné une diminution significative du financement public du fait que les transferts vers les organisations philanthropiques sont étroitement liés à la perception des impôts, impactant ainsi le budget des organismes sociaux. En raison de la baisse des recettes fiscales, le financement du tiers secteur a été réduit, atteignant seulement 0,35 % du PIB en 2017, soit 4,3 milliards de réal4.

Il est important de souligner que l’impact fiscal exerce une influence continue sur les décisions prises par les organisations philanthropiques, constituant une préoccupation constante de leurs gestionnaires. Les impôts publics, qu’ils relèvent du niveau fédéral, provincial ou municipal, représentent une part substantielle du financement des programmes et projets, entraînant des interférences directes dans la performance et la réalisation de leurs activités. Il est à noter que les dons corporatifs constituent la part la plus significative des recettes des entités philanthropiques dans le pays5.

Comme nous l’avons indiqué, le soutien de l’État transite principalement par la législation sur les incitatifs fiscaux. Ce mécanisme, relativement simple, permet des déductions d’impôt tant pour les particuliers que pour les entreprises. Particuliers et entreprises ont la possibilité d’affecter une portion de leurs impôts au profit de projets mis en œuvre par des fondations et des organismes communautaires et visant le bien-être de populations en situation de vulnérabilité sociale.

Grâce aux incitatifs fiscaux, le gouvernement réserve une partie des impôts collectés à des projets axés sur la santé, l’éducation, la recherche, le développement technologique, l’assistance sociale, la culture, le sport, l’environnement, l’agriculture et l’emploi. De cette manière, tant les individus que les entreprises ont la possibilité d’orienter leurs impôts vers des organismes sociaux, tout en bénéficiant d’une déduction fiscale, c’est-à-dire en déduisant le montant donné de leurs obligations fiscales, conformément à la législation en vigueur. Il est important de souligner que les dons peuvent être déduits de l’impôt sur le revenu, mais il existe des limites spécifiques. La législation fiscale brésilienne établit des règles pour la déduction des dons, et le pourcentage d’exonération fiscale peut varier en fonction du type d’entité bénéficiaire et du programme auquel l’entreprise contribue.

(Incitatifs fiscaux)

(Incitatifs fiscaux)

Dans le cadre de la législation brésilienne sur les incitations fiscales, nous attirons l’attention sur plusieurs dispositifs, notamment la Loi Rouanet qui soutient les initiatives culturelles à l’échelle du pays. D’autres exemples incluent les Fonds pour l’Enfance et l’Adolescence (FIA), le Programme National de Soutien à l’Attention de la Santé des Personnes Handicapées (PRONAS), le Fonds National des Personnes Âgées (FNI), la Loi Fédérale sur la Promotion du Sport, et le Fonds National pour le Développement de l’Éducation (FNDE).

De nombreuses possibilités s’offrent dans le domaine public afin de permettre aux entités philanthropiques brésiliennes de mettre en œuvre leurs projets de manière durable, systématique et autonome, tout en étant adaptée à divers contextes sociaux et territoriaux. À cet égard, pour les particuliers et les entreprises, il est important de bien connaître la législation, les mécanismes de financement, les modalités de collaboration avec les autorités publiques, ainsi que les critères essentiels liés aux procédures d’application des lois et règlements sur les dons. Pour optimiser leur utilisation, ces critères présentent des variations significatives en termes de spécificités et de fréquence, nécessitant une compréhension approfondie.

En ayant une bonne connaissance de la loi sur les incitations fiscales, le contribuable individuel ou corporatif peut intervenir de manière directe et indépendante de l’État. Il leur est possible d’établir des partenariats au profit d’activités, de projets, et de programmes culturels et sociaux. Ce faisant, ces acteurs contribuent, à leur façon, à la croissance économique et à la transformation sociétale.

L’appui des politiques publiques au financement des organisations de la société civile à but non lucratif est essentiel. Il génère un impact positif, tant sur les projets sociaux que sur les entreprises Ces dernières renforcent ainsi leur image auprès de leur clientèle et de la société. D’un point de vue fiscal, les initiatives de nombreux donateurs et donatrices peuvent susciter l’adhésion d’autres entreprises, profitant ainsi de divers avantages.

Saviez-vous que vous pouvez faire des dons par le biais de votre impôt sur le revenu?

(Saviez-vous que vous pouvez faire des dons par le biais de votre impôt sur le revenu?)

Toutefois, dans un pays aux dimensions géographiques continentales, tel est le cas du Brésil, et marqué par d’importantes disparités régionales sur les plans économique et social, il est impératif de reconnaître que les incitations fiscales accordées par les entreprises brésiliennes souffrent encore d’une distribution inégale. C’est particulièrement le cas en ce qui concerne la stimulation du développement de secteurs cruciaux qui ne présentent pas d’attraits économiques suffisants pour rivaliser de manière satisfaisante avec d’autres secteurs dans la quête d’investissements privés à grande échelle.

En conclusion, une des critiques brésiliennes les plus pointues concernant les lois fondées sur des incitatifs fiscaux réside dans le fait qu’elles confèrent au secteur privé l’autonomie de décider où allouer les ressources. Cela se traduit par un intérêt marqué pour des stratégies de marketing de la part des entreprises, utilisant ce mécanisme comme moyen de communication et de promotion de leurs activités, produits et marques auprès des consommateurs, de la société et des secteurs économiques. Cette approche oriente les investissements vers des projets à fort attrait commercial, créant un déséquilibre par rapport aux secteurs dépendant de financements publics et privés. Cette pratique concentre les ressources, en particulier dans les régions les plus prospères du pays, perpétuant les disparités dans les investissements et transformant la philanthropie en une stratégie mercantille.

Il relève alors des organisations partenaires, chargées de collecter et de gérer les investissements sociaux, de jouer un rôle central en matière de sensibilisation des entreprises et d’orientation des ressources provenant des exonérations fiscales. Il est alors possible de corriger le tir et de voir les particuliers ou les entreprises prendre des décisions plus éclairées permettant une redistribution plus équitable entre les différents secteurs, territoires et organisations soutenues.

 

Lidia Eugenia Cavalcante

Professeure titulaire au département de sciences de l’information à l’Université fédérale du Ceará au Brésil

 

 

 

 


Cet article fait partie de l’édition spéciale de Janvier 2024: Modernisation de la loi sur la bienfaisance. Vous pouvez trouver plus d’informations ici.

Notes de bas de page

 

[1] Jessica Sklair a publié en 2021 un ouvrage chez Routledge présentant un portrait général de la philanthropie brésilienne : Brazilian Elites And Their Philanthropy: Wealth at the Service of Development,

[2] Pour une présentation générale sur le secteur à but non lucratif au Brésil, dont les fondations familiales et publiques, voir : https://cof.org/content/nonprofit-law-brazil. Voir aussi le rapport suivant sur la philanthropie effective au Brésil : https://www.issuelab.org/resources/19220/19220.pdf.

[3] Le réal (reais) est la monnaie brésilienne : 1 réal équivaud à 0,28 dollar canadien; 83MM réaux équivalent à presque 3MM$.

[4] La collecte de fonds d’un point de vue fiscal. Voir en ligne : https://www.filantropia.ong/informacao/captacao-de-recursos-pela-otica-tributaria.

[5] Philanthropie d’entreprise au Brésil : une analyse des dons d’entreprises pendant la pandémie de COVID-19. Études sur l’urgence COVID-19. Voir en ligne : file:///Users/lidiaeugeniacavalcantelima/Downloads/Artigo-GIFE-03_Filantropia-corporativa-no-Brasil_WEB-1.pdf Parte superior do formulário.