La contribution de la philanthropie corporative à la recherche : le cas de la Chaire de tourisme Transat
Marc-Antoine Vachon est professeur au département de marketing de l’ESG UQAM depuis 2009. Il s’intéresse au marketing des destinations et des services touristiques, aux indicateurs de performance, à la collaboration inter-organisationnelle et à la promotion des ventes.
Monsieur Vachon possède une vaste expérience en enseignement et en recherche. Il dirige le Comité scientifique de la Chaire de tourisme Transat depuis avril 2015.
David Zaragoza: Pour débuter, pouvez-vous présenter la mission et la structure de la Chaire de tourisme Transat ?
Marc-Antoine Vachon: La mission de la Chaire est essentiellement de contribuer à l’essor et au rayonnement de l’industrie touristique québécoise à travers la recherche-action, la diffusion d’informations et le développement de la formation. Nous travaillons de concert avec des entreprises touristiques, des sociétés touristiques ainsi qu’avec des ATR (Associations touristiques régionales). Au niveau de la structure, nous sommes deux titulaires, Paul Arseneault et moi, Louise Collignon qui est la directrice planification et développement des affaires et quatorze employé-e-s dont dix professionnel-le-s de recherche et deux techniciennes. Tout le personnel est appelé à contribuer à l’ensemble des activités de la Chaire, mais à des niveaux différents. Grosso modo, la moitié de l’équipe est davantage consacrée au Réseau de veille en tourisme qui est bien connu dans l’industrie touristique québécoise et l’autre moitié est plus impliquée dans la recherche partenariale.
Pouvez-vous m’en dire un peu plus sur votre rôle à la Chaire de tourisme Transat ?
Mon premier emploi est celui de professeur et je suis dégrevé d’un cours par année afin d’allouer plus de temps à mes activités comme titulaire de recherche. À la Chaire, je suis directeur scientifique et mon rôle avec le Comité scientifique est d’assurer que chaque axe de recherche soit animé par des projets. Je suis aussi très impliqué au niveau méthodologique dans les études conduites en partenariat.
Qui finance principalement la Chaire de tourisme Transat ?
D’abord, la Chaire est en grande partie financée par Développement Économique Canadapour les régions du Québec et par le ministère du Tourisme du Québec. Ce financement nous permet de maintenir une équipe de travail stable, tout en effectuant des travaux de recherche spécifiquement à l’intention de ce secteur socioéconomique. Il faut savoir que le tourisme met principalement en scène des PMEs (Petites et Moyennes Entreprises), lesquelles n’ont pas forcément des ressources importantes. La pertinence de la Chaire est d’offrir des données et des informations clés pour ces entreprises. Sans financement, la Chaire n’existerait pas sous la forme actuelle. Elle serait probablement plus axée sur la recherche scientifique et beaucoup moins présente dans l’industrie. Nous comptons aussi sur des revenus autogénérés issus de la recherche partenariale. Finalement, la complétion du financement provient des intérêts annuels générés par les dons successifs capitalisés offerts par Transat et son PDG Jean-Marc Eustache, qui siège à la Fondation de l’UQAM à titre d’appui à la Chaire.
Quelle est l’origine de la collaboration entre la Chaire de tourisme et l’entreprise Transat A.T. ?
La Chaire a été créée en 1992 suivant l’engagement entre l’UQAM et le ministère du Tourisme. Elle doit sa pérennité grâce à l’appui de Transat. Ce partenariat s’est concrétisé par un premier don qui remonte à l’an 2000. La valeur du financement offert par Transat est de garantir une certaine pérennité à la Chaire, car chaque année, peu importe ce qui arrive avec le soutien des deux autres organismes, nous allons au moins recevoir les intérêts du fonds capitalisé comme financement.
Le 16 novembre dernier, à l’occasion du 25eanniversaire de la Chaire de tourisme Transat et dans le cadre de la campagne majeure de financement 100 millions d’idées de la Fondation de l’UQAM, Jean-Marc Eustache, président et chef de la direction de Transat A. T. inc., a annoncé le don de un million de dollars à la Chaire de tourisme Transat.Pouvez-vous m’expliquer ce que ce don philanthropique représente pour la Chaire de tourisme Transat ?
Contrairement au financement lié à des objectifs précis, comme celui octroyé par Développement Économique Canadaet par le ministère de Tourisme, le don philanthropique de Transat nous donne de la flexibilité pour le déploiement d’autres activités universitaires et de recherche qui sont aussi tout à fait pertinentes.
Auparavant, il y avait un million de dollars dans un fond capitalisé, c’est-à-dire que la Chaire n’a pas accès directement à cet argent, mais plutôt aux intérêts générés par ce fonds, lesquels nous sont transférés annuellement. Depuis le 16 novembre 2018, le nouvel engagement de Transat est de verser 100 000 dollars pendant les dix prochaines années dans le fonds capitalisé, ce qui signifie que la portion considérée « flexible » de notre financement sera graduellement doublée et ceci est une excellente nouvelle pour nous.
D’un côté, cette augmentation du financement nous permettra de déployer davantage notre mission universitaire avec des projets « extra-industrie », de rendre tangible notre engagement dans la recherche scientifique et d’encourager les chercheurs en gestion du tourisme en soutenant financièrement des professeurs et/ou des étudiants de maîtrise et de doctorat. À titre d’exemple, avec le Comité scientifique de la Chaire, nous organisons un programme d’aide réservé à notre groupe de proximité : des professeurs d’ici et d’ailleurs ayant des intérêts de recherche complémentaires qui couvrent nos axes et qui sont orientés vers la gestion du tourisme. Ce programme offre deux montants de 2500 dollars qui servent soit pour la création d’un nouveau projet ou soit pour la diffusion et la revalorisation des données.
D’un autre côté, nous sommes aussi actifs dans plusieurs projets internationaux avec la Chine, la Guadeloupe et la France et nous sommes intéressés et engagés à renforcer notre implication à l’international. En résumé, le don philanthropique de Transat nous permet de nous engager davantage dans la recherche fondamentale et hors des exigences de l’industrie.
Selon le site internet portant sur la responsabilité sociale de Transat, l’entreprise affirme que : « Transat croit à la générosité et à l’importance de s’engager dans sa communauté. Avec l’aide de ses employés, elle appuie concrètement les causes philanthropiques et humanitaires qui lui tiennent à cœur». Selon vous, quels sont les intérêts de Transat à dépenser en matière de philanthropie de façon générale ?
Premièrement, il est important de remarquer la relation spéciale entre Transat et Montréal pour comprendre son engagement dans la communauté. L’entreprise a son siège social à Montréal et cela joue pour beaucoup, tant économiquement que socialement grâce à toutes les activités et synergies développées aux alentours. Dans le domaine du tourisme, avoir le siège Transat à Montréal est fantastique et il ne faudrait pas le perdre.
Deuxièmement, Transat a été créée par trois Montréalais d’adoption qui ont toujours été très attachés au tissu social du Québec. Depuis le début, ils ont voulu réinvestir dans la communauté et ceci est précieux pour la société. Dans le cas de Transat et de compagnies aériennes, cette implication sociale et environnementale est particulièrement importante. On sait que le transport aérien est polluant, mais actuellement il n’y a pas d’alternative réelle et plusieurs entreprises font de leur mieux tout en connaissant les conséquences de leurs activités. La philanthropie corporative parle de valeurs et plus précisément des valeurs qui partent de la tête des dirigeants. Transat est un modèle sur lequel plusieurs devraient se baser, un modèle qui doit être diffusé et compris par les nouvelles générations de gestionnaires. Je pense qu’une des raisons principales pour lesquelles Transat est aussi engagée en philanthropie provient des valeurs humaines de M. Eustache (PDG de Transat). En tant qu’ancien étudiant, il est très attaché à Montréal et à l’UQAM. En effet, il est actuellement président de la Fondation de l’UQAM et a même engagé de son argent personnel. Pour la Chaire de tourisme Transat, il est un ambassadeur sans pareil pour l’industrie touristique québécoise et les activités universitaires. Un des principaux axes de recherche de la Chaire est le tourisme responsable et nous sommes heureux de travailler régulièrement en partenariat avec une entreprise qui se pose des questions sur la responsabilité sociale et qui a un engagement tangible en ce sens.
Toujours selon le site internet de Tansat, il est dit que : « En accord avec sa politique philanthropique, Transat soutient des institutions ou des projets qui ont pour but de faire progresser les connaissances et les compétences en matière de tourisme ».Plus précisément, quels sont les intérêts à faire des dons à des institutions académiques telles que la Chaire de tourisme Transat ou l’ITHQ ?
Les donateurs philanthropiques que je connais le font de bon cœur, par souci de redonner, d’aider la génération suivante. Une organisation en récolte certes quelques fruits comme celui d’être perçu comme un bon citoyen corporatif ou, encore, avoir accès en primeur à certaines bonnes idées de jeunes entrepreneurs (qu’on pense par exemple à un incubateur comme le MT Lab, l’incubateur d’innovations en tourisme, culture et divertissement). Toutefois, ces gains sont incertains et souvent intangibles, et l’opération demande non seulement de l’argent mais aussi du temps. C’est pourquoi, à mon sens, la philanthropie doit partir d’un sentiment vertueux. Cette question de temps est quelque chose qui m’épate d’ailleurs. À titre d’exemple, un des trois fondateurs de Transat, M. Philippe Sureau, qui est d’ailleurs président du Conseil d’administration de Tourisme Montréal, est le président de notre comité de direction depuis des années. Il est impliqué dans les opérations et nous démontre son intérêt pour la réussite de la Chaire. C’est pourquoi je pense qu’un partenaire comme Transat est si précieux : non seulement il est engagé financièrement, mais il alloue d’autres ressources pour rendre le partenariat vivant et actif. D’ailleurs, comme nous l’avons constaté dans un partenariat de recherche récent, certaines entreprises font plus socialement que ce qu’elles réussissent à communiquer à leurs clients.
Quels sont vos souhaits pour l’avenir de la collaboration entre la Chaire et Transat ?
Comme professeur d’université, avoir la vision de la grande entreprise nourrit la compréhension de l’industrie et les étudiant.e.s en bénéficient directement. Au niveau financier, le premier engagement est capitalisé à la Fondation de l’UQAM et l’annonce de novembre dernier impliquait uniquement l’argent personnel de M. Eustache. De ce côté, il y a pérennité. Pour l’avenir, c’est davantage le départ à la retraite de M. Eustache qui peut changer la donne. Il insuffle, encore aujourd’hui, beaucoup d’énergie à ce partenariat. La tête dirigeante a toujours un fort impact dans une organisation. Toutefois, puisque nous travaillons de près avec plusieurs gestionnaires de chez Transat, sous diverses formes, nous sommes confiants d’être parvenus à tisser des liens solides pour que l’aspect relationnel demeure fort entre nous.