L’évaluation DE la philanthropie et EN philanthropie

Par Louise Giroux , Présidente de Global Philanthropia Canada
25 mars 2020

Depuis sa mise sur pied, PhiLab se veut un lieu de recherche partenariale, de partage d’informations et de mobilisation des connaissances sur la philanthropie subventionnaire. Le contenu de l’article de Louise Giroux sur l’évaluation de la philanthropie représente le point de vue de l’auteure et de son organisation. Nous le partageons et vous invitons à réagir pour alimenter le débat.


Louise Giroux évaluation philanthropie

Présidente fondatrice de Philanthrôpia Canada et de Philanthrôpia France, Louise Giroux possède plus de 30 ans d’expérience en développement philanthropique. 

Elle a dirigé et dirige toujours diverses campagnes de financement d’envergure dans les milieux hospitaliers, culturels et universitaires, dont la campagne du Grand Verglas pour la Croix-Rouge ainsi que la planification et la direction de la campagne majeure de financement 2000 – 2003 de l’Université de Montréal. 

En France, elle a notamment dirigé et supervisé les campagnes de dons majeurs de plusieurs musées, d’universités et d’Instituts de recherche qui ont atteint ou dépassé leurs objectifs.

Le débat sur l’évaluation de l’impact des OBNL fait rage auprès des experts : politologues, économistes, experts en évaluation de programme, universitaires et militants de gauche ou de droite expriment leurs croyances basées sur l’idéologie, l’expérience vécue ou fondée sur des études scientifiques. La valeur de la philanthropie est parfois mesurée globalement comme un mécanisme pour améliorer la justice sociale en complément de l’État ou plus spécifiquement sur l’impact d’un programme envers une population. 

Mais pouvons-nous parler de la valeur et de l’impact d’une mission philanthropique spécifique si nous croyons que, dans tous les cas, les gouvernements sont meilleurs que les philanthropes et les OBNL pour redistribuer la richesse ?

Dans un premier temps, permettons-nous de discuter de la question de l’évaluation DE la philanthropie pour ensuite nous interroger sur la « faisabilité » de l’évaluation EN philanthropie. Enfin, nous pourrons discuter de la coopération de tous les acteurs et de la « nouvelle philanthropie ».

L’évaluation DE la philanthropie 

Comment évaluer globalement la philanthropie et son impact social ? Est-elle bonne ou mauvaise pour le monde et dans notre pays ? Si on se pose la question globalement, la réponse sera nécessairement différente dans chacun des systèmes politiques nationaux. D’emblée, personne parmi nous, Canadien.ne.s et Québécois.es qui avons la chance de vivre dans un « État providence », ne laisserait la philanthropie prendre soin du « filet social ». Donc, à la question de savoir qui est le meilleur redistributeur de la richesse, l’État est définitivement meilleur que la philanthropie. Il est théoriquement plus efficace et plus démocratique de taxer les riches et de voir l’État se charger des actions à portée redistributive. En théorie, du moins, c’est ainsi que le perçoit la majorité des citoyens-nes. En revanche, le succès inégal actuel des gouvernements dans les États démocratiques témoigne de faiblesses importantes dans la capacité réelle de l’État d’assurer une redistribution juste et équitable. 

Examinons donc les faiblesses de l’État quant à sa capacité réelle d’améliorer la justice sociale et de réduire les inégalités dans le monde, puis posons-nous la question à savoir si la philanthropie pourrait faire mieux.

Commençons par les inégalités entre les pays en se référant au point de vue du prix Nobel d’économie 2015, Angus Deaton. Professeur à Princeton University, Deaton a consacré sa vie professionnelle à étudier les inégalités sociales et à suivre le combat des humains pour sortir de la pauvreté. Son évaluation de l’aide internationale des pays riches envers les pays pauvres est sans appel : c’est une catastrophe !

« Près d’un milliard d’individus vivent dans la misère matérielle, des millions d’enfants meurent encore à cause du hasard de leur lieu de naissance (Deaton, 2016) ». Dans son ouvrage d’économie « La Grande Évasion », Deaton décrit minutieusement le paradoxe de l’aide internationale. Le total de l’aide internationale des pays riches était de 133,5 milliards de dollars en 2011, sans compter les 30 milliards supplémentaires collectés par les ONG. Selon Deaton, ce flux de capitaux serait plus que suffisant pour éliminer la pauvreté au niveau mondial si l’argent était dirigé directement aux personnes qui vivent sous le seuil de pauvreté. Ce n’est pas le cas. Pourquoi ?

La cause a été décrite par Peter Bauer en 1972 (pp. 97-98). « Si toutes les conditions du développement autres que le capital sont réunies, le capital sera généré localement (…). Cependant, si les conditions du développement ne sont pas réunies, l’aide étrangère sera improductive et donc inefficace ». Dès lors, l’aide sans réel développement profite plus à ceux et celles qui la fournissent qu’à ceux et celles auxquels cette aide est destinée. Bref, l’aide internationale gérée par les gouvernements donateurs est au mieux inutile, et au pire nuisible, puisqu’elle contribue à maintenir dans la pauvreté les populations qu’elle est sensée aider. En effet, l’aide est trop souvent détournée par les systèmes corrompus qui en vivent.

Malgré tout, l’aide internationale n’est pas toujours nuisible. Notamment dans le domaine de la santé. L’Unicef et de nombreux organismes ont sauvé des millions d’enfants en fournissant des antibiotiques et en généralisant la vaccination. Plusieurs ONG réussissent à contourner les obstacles en apportant tant une aide directe aux populations visées que les connaissances propices à l’amélioration de leur bien-être.

Au Canada, les associations caritatives sont-elles plus efficaces que les gouvernements pour aider les personnes dans le besoin afin de réduire la pauvreté ou pour soutenir leur éducation ? Hilary Pearson y répond sur son blog personnel en référence à un débat organisé par la BBC en janvier 2020. Selon une des expertes invitées à ce débat, Melissa Berman du Rockefeller Philanthropy Advisors, « La réponse à la question : l’État ou la philanthropie ? » se résume aux deux. Les deux sont nécessaires. « La philanthropie comble les lacunes pour assurer l’accès aux services pour les personnes marginalisées. Elle peut aussi financer l’innovation et l’adaptation. (…) Comme l’a indiqué un autre des experts de la BBC, la philanthropie excelle quand elle ne repose pas uniquement sur la générosité, mais aussi sur la justice. » .

L’évaluation EN philanthropie 

Si nous pensons que la philanthropie est un complément à l’action de l’État, qu’elle permet de s’attaquer aux injustices sociales et aux préjugés systémiques, en quoi et comment est-il possible d’évaluer l’impact social philanthropique ? Est-ce possible et nécessaire d’évaluer la pertinence, l’efficacité, l’efficience et l’impact net d’un OBNL en particulier, quand la multiplication des organisations soutenant les mêmes causes crée une compétition entre ces organisations et une confusion pour les donateurs et donatrices. 

Pourrait-on évaluer « l’efficience » collective de toutes les fondations et OBNL qui poursuivent un même objectif sur un même territoire ? C’est-à-dire en comparant les résultats d’un projet avec les ressources financières et humaines qui ont été utilisées pour les produire, afin d’optimiser l’allocation de ces ressources. 

L’évaluation d’impact est une démarche très complexe en raison du grand nombre d’éléments contextuels à considérer, mais aussi à cause de la difficulté à identifier les liens de causalité. Beaucoup d’associations et de fondations n’ont pas les ressources nécessaires pour évaluer leur impact social. À la grande question de la meilleure méthode pour évaluer l’impact des actions philanthropiques, des chercheurs ont exprimé une réponse pragmatique : « Le secteur philanthropique, aujourd’hui, est bien conscient que ce Graal (de l’évaluation d’impact) n’existe pas et qu’il est important que chacun avance de manière pragmatique en fonction de ses ressources, de ses enjeux, afin de générer des informations qui soient utiles pour leur organisme, à défaut d’être vraies ».

L’évaluation de l’impact social des actions en philanthropie est peut-être une utopie irréaliste. Pourtant certaines pistes se dessinent comme la coopération entre les organisations et les nouvelles notions d’impact, comme celle de « l’empreinte » des OBNL dans leur milieu. 

Quel avenir pour l’impact social en philanthropie ?

Comment expliquer l’intérêt omniprésent de l’évaluation de l’impact en philanthropie ? D’une part, le contexte de la philanthropie a changé. La compétition entre les OBNL ne cesse de s’accroître par la création de nouvelles fondations et par les multiples approches pour courtiser les mêmes dollars. D’autre part, les donateurs/trices individuels veulent choisir les causes à soutenir et veulent savoir quel sera l’impact de leurs dons. Ils et elles souhaitent que leur don laisse une « empreinte » à long terme pour, ultimement, changer le monde ! En ce sens, il peut être préférable, comme Virginie Seghers l’avance, d’évaluer l’empreinte à long terme que laisse un OBNL sur la cause qu’elle défend, plutôt que l’impact à court terme de ses activités.

L’évaluation de l’impact peut aider les donateurs à s’y retrouver et les OBNL à se distinguer. Mais, selon plusieurs experts, une autre avenue pourrait être bénéfique pour tous : la coopération des acteurs autour de priorités communes et d’objectifs communs.

La Fondation Metcalf a produit un rapport intitulé « Plateformes partagées et pépinières de bienfaisance ». On y présente les raisons pour lesquelles une plateforme est appelée à améliorer grandement la santé du secteur des arts. « Les artistes qui s’aventurent dans cet environnement difficile de financement des arts se retrouvent dans l’obligation de soutenir des systèmes organisationnels, administratifs et financiers (…) puis trouver le temps de produire leurs œuvres artistiques » (Marsland, 2013). Le concept de plateforme partagée trouve son origine dans une disposition fiscale américaine appelée « fiscal sponsorship ». Aux États-Unis, les parrainages fiscaux sont devenus très populaires afin d’aider les organismes sans but lucratif qui servent l’intérêt public et les soulager de cette fonction essentielle mais difficile à gérer.

Par ailleurs, au Canada, les OBNL du domaine de l’environnement entretiennent une collaboration continue. Le Réseau canadien des subventionneurs en environnement (RCSE), par exemple, regroupe des « fondations privées, publiques, communautaires et d’entreprise, qui partagent un désir d’apprendre, de collaborer et de mobiliser des ressources afin de réaliser des priorités communes » (RCSE, 2019).

Malheureusement, les quelques expériences de mutualisation réalisées au Québec et au Canada ne sont pas soutenues par une fiscalité appropriée comme aux États-Unis. Il serait temps que les gouvernements mettent à jour les puissants instruments de la fiscalité afin de réaliser le grand potentiel d’impact social de la philanthropie.


Cet article fait parti de notre dossier spécial sur l’évaluation de la philanthropie.

Vous voulez réagir à cet article? Écrivez-nous au courriel philab@uqam.ca , il nous fera plaisir de vous entendre!

Bibliographie

Références

Bauer, P (1972). Dissent on Development. Cambridge: Harvard University Press.

Deaton,  A. (2016). La Grande Évasion, PUF. 

Marsland, J. (2013) Plateformes partagées et pépinières de bienfaisance. Metcalf Foundation.  Repéré le 26 février 2020 à https://metcalffoundation.com/site/uploads/2015/07/Shared-Platforms-and-CVOs_FreFinal.pdf

Réseau canadien des subventionneurs en environnement (RCSE) (2019). Repéré le 26 février 2020  à http://www.cegn.org