Depuis sa mise sur pied, PhiLab se veut un lieu de recherche partenariale, de partage d’informations et de mobilisation des connaissances sur la philanthropie subventionnaire. Le contenu du présent communiqué représente le point de vue de I’auteur et de son organisation. Nous le partageons et vous invitons à réagir pour alimenter le débat.
Ottawa, le 16 juillet 2019
Destinataires : L’honorable Pablo Rodriguez, ministre du Patrimoine canadien et du Multiculturalisme L’honorable Bill Morneau, ministre des Finances
Messieurs les Ministres,
Le Groupe indépendant d’experts sur le journalisme et la presse écrite a terminé ses travaux et vous présente son rapport final ainsi que des recommandations pour la mise en œuvre efficace et équitable des mesures fiscales à l’appui des médias d’information canadiens énoncées dans le budget de 2019.
Le Groupe d’experts remercie le gouvernement de mettre en place ce programme, qui reconnaît le rôle important des médias de journalisme écrit pour la préservation de la démocratie dans les collectivités du Canada. Les crédits d’impôt prévus offrent une aide importante à de nombreuses organisations qui fournissent des nouvelles d’intérêt général aux Canadiens.
Le Groupe d’experts tient à souligner que ce programme ne suffira pas à lui seul à empêcher la disparition de nombreuses sources d’information essentielles, en particulier les petits médias locaux qui ne sont pas visés par les mesures du Budget 2019 et qui sont extrêmement vulnérables. D’autres programmes de soutien devraient être envisagés. Il est bien établi que l’industrie de la presse écrite est en crise. On estime que les médias numériques appartenant à des intérêts étrangers, comme Google et Facebook, priveront l’économie canadienne de sept milliards de dollars provenant de la publicité cette année. Les revenus publicitaires des quotidiens sont deux fois moins élevés qu’il y a une décennie. Selon des données recueillies dans le cadre du « Local News Research Project », plus de 250 organes de presse canadiens ont fermé leurs portes dans la dernière décennie. Le rapport Le Miroir éclaté du Forum des politiques publiques a établi qu’un tiers des emplois en journalisme ont disparu au Canada sur une période de six ans. Les organes de presse exclusivement numériques ne comblent pas l’écart et les entreprises numériques étrangères ne financent aucunement de façon significative la création de contenu de nouvelles canadien, même si elles bénéficient du travail effectué par les médias traditionnels. Le programme de crédits d’impôt, aussi positif soit-il, ne suffira pas à contrer ces effets désastreux.
Maintenant que la loi d’exécution du budget a été promulguée, nous exhortons le gouvernement à mettre en œuvre rapidement ces mesures fiscales afin que les organes de presse confrontés à des licenciements et à des fermetures puissent être assurés de recevoir l’aide dont ils ont grandement besoin. À cette fin, le Groupe d’experts a fourni des définitions claires sur ce que sont des nouvelles d’intérêt général et ce que sont des employés de salle de presse admissibles pour que les médias de nouvelles écrits puissent déterminer s’ils sont des organisations journalistiques canadiennes admissibles aux fins de ces crédits d’impôt et pour que l’Agence du revenu du Canada puisse évaluer les demandeurs, comme elle le fait pour les autres programmes de crédits d’impôt. Nous avons fourni des critères objectifs et précis qui sont largement reconnus parmi les nombreuses organisations représentées par le Groupe d’experts. Nous avons laissé peu de place aux jugements subjectifs. Notre objectif était d’identifier clairement les organes de presse admissibles à ce programme gouvernemental particulier, et non d’essayer de déterminer une sorte de statut « d’organisation journalistique approuvée ».
Afin que le gouvernement puisse agir rapidement, nous avons recommandé que les crédits d’impôt soient mis en place et administrés directement par l’Agence du revenu du Canada. Nous avons recommandé que le gouvernement crée un organisme consultatif, dont les membres proviendraient des écoles postsecondaires de journalisme du Canada, pour épauler la ministre du Revenu national dans l’exécution de ce programme.
Nous recommandons que l’organisme consultatif ne certifie pas toutes les organisations journalistiques canadiennes mais plutôt que, lorsque l’ARC a des questions quant au fait qu’une demande remplisse ou non les critères journalistiques du programme, elle les soumette à cet organisme. Pour des raisons de confidentialité, nous fournirons sous pli séparé les noms des personnes proposées pour faire partie de cet organisme consultatif. Le gouvernement rendra publics les noms des personnes qui seront finalement nommées.
Nous avons formulé plusieurs autres recommandations en vue d’améliorer le programme et d’aider davantage les organisations du domaine du journalisme écrit, en particulier les petites organisations et celles qui représentent les communautés de langue officielle en situation minoritaire et les communautés ethniques. Les publications de ces organisations, qu’elles soient imprimées ou numériques, sont vitales pour leurs nombreux lecteurs et représentent souvent les seuls médias d’information indépendants desservant une communauté. La plupart de celles-ci ne sont pas admissibles aux programmes d’aide gouvernementaux existants.
Bien que l’aide gouvernementale soit la bienvenue, elle ne remplace pas la publicité gouvernementale et ne compense pas sa disparition. Nous exhortons le gouvernement à prendre l’engagement de consacrer une part substantielle de son budget annuel de publicité aux organes d’information écrite, comme il le faisait auparavant. Les médias imprimés et numériques touchent un public plus vaste que jamais. Ils parviennent de manière efficiente à joindre les Canadiens et constituent un moyen efficace de communiquer des messages publics importants. Pourtant, le gouvernement consacre peu d’argent à ces plateformes, tout en allouant des fonds à des entreprises numériques étrangères qui ne financent pas les salles de presse canadiennes.
De plus, il faut trouver une solution à plus long terme pour préserver la capacité de notre société à obtenir des reportages originaux et indépendants sur des questions d’intérêt public. Les gouvernements d’autres pays, dont la Grande-Bretagne et l’Australie, ont adopté une approche holistique pour affronter les défis posés par les entreprises numériques étrangères qui dominent les médias sociaux et de recherche, alors qu’elles ne sont pas assujetties à la même réglementation ni aux mêmes taxes que les entreprises médiatiques traditionnelles. Les organisations qui bénéficient du contenu de nouvelles canadien devraient être tenues de participer à son financement. À moins de remédier à cette situation, de nouveaux modèles d’affaires ne verront pas le jour pour soutenir le journalisme indépendant au Canada, et en conséquence le public sera moins informé et moins engagé.
Le besoin est urgent. Au cours des quatre dernières années, beaucoup de consultations et d’études ont été menées, notamment par le Comité permanent du patrimoine canadien de la Chambre des communes et le Forum des politiques publiques. La crise de l’industrie des médias écrits et ses causes sont bien connues. Des solutions possibles ont été identifiées pour soutenir le journalisme indépendant au Canada à longue échéance. Nous nous réjouissons que le gouvernement ait pris des mesures dans le cadre de ce programme, mais nous soulignons qu’il faut faire davantage.
En conclusion, le Groupe d’experts aimerait remercier le gouvernement de lui avoir donné l’occasion de contribuer à la formation de ce programme très important. Nous demeurons disponibles pour répondre à des questions concernant notre rapport et nos recommandations.
Je vous prie d’agréer, Messieurs les Ministres, l’expression de mes sentiments respectueux.
Bob Cox, Président, Groupe indépendant d’experts sur le journalisme et la presse écrite, de la part de Esther Enkin, Brad Honywill, Pierre-Paul Noreau, Brenda O’Farrell, Thomas Saras, Pascale St-Onge, and Pierre Sormany