La mobilisation face au coronavirus par le secteur philanthropique Brésilien

28 avril 2020
Cet article fait partie du Hors-Série#1 de l’Année phiLanthropique 2020

 

Par: Lidia Eugenia Cavalcante

Professeure et chercheure au département de sciences de l’information à l’Université fédérale du Ceará au Brésil, chercheure en résidence au PhiLab-Québec.

coronavirus secteur philanthropique Brésilien

Introduction

Le 11 mars 2020, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a déclaré pandémique l’avancée et la propagation de la Covid-19. Au Brésil, ainsi que dans le monde entier, cette pandémie a provoqué une lutte sans précédent de la part des gouvernements, des organisations de la santé et de la société civile afin de mettre en œuvre des mesures préventives et contenir la propagation de la maladie. Un état d’urgence inégalé dans l’histoire récente du pays représente un défi de grande envergure pour la population brésilienne, notamment à cause de l’ampleur des inégalités sociales en sol brésilien.

La pandémie du Covid-19 affecte durement deux secteurs de la société brésilienne : la santé et l’économie. Mentionnons que le secteur public à lui seul n’est pas en mesure d’assurer l’investissement nécessaire pour controler la pandémie. À titre explicatif, des ressources en quantité insuffisante sont allouées à la santé, et, conséquence oblige, il s’ensuit des conditions de travail insuffisantes pour le personnels de la santé et un manque d’argent pour l’achat des équipements et des de fournitures médicales.

Dans ce contexte, le Brésil compte sur les réponses collectives mises en œuvre par les organisations de bienfaisance, les entreprises, les universités, le secteur privé et les individus en vue de mobiliser des dons en argent, de soutenir les ressources humaines, d’obtenir les technologiques requises et les apports de chercheurs scientifiques pour contenir l’avancée de la maladie. La philanthropie est ainsi appelée à jouer un rôle majeur en ce moment de grande urgence. La société brésilienne dans son ensemble dépend des efforts collectifs mis de l’avant pour combattre la crise actuelle.

Des fonds d’urgence en appui au secteur de la santé publique

Pour contenir les progrès de la COVID-19, la principale mesure adoptée par le secteur philanthropique brésilien et les investissements sociaux brésiliens[1] est de contribuer au renforcement du « Sistema Único de Saúde (SUS) », lequel est l’agence nationale qui regroupe les principales actions de gouvernance en matière de santé publique. Le SUS a été créé en 1988 au nombre des mesures liées à la nouvelle Constitution fédérale brésilienne. La finalité de l’agence est d’offrir un système gratuit de soins de santé, universel, intégré et équitable à tous les citoyens du pays[2]. Selon l’Organisation mondiale de la santé (2019)[3], l’accès universel et gratuit à des services de soins de qualité est une priorité en fonction des Objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies, notamment pour les individus, les familles et les communautés locales, dont les communautés amérindiennes, et surtout les plus pauvres.

Le SUS est un centre d’expertise et de référence en santé. Il est partie prenante d’un réseau collaboratif établi par le ministère de la Santé, les États et les municipalités. L’ensemble des services de santé offert par le SUS à la population brésilienne est dispensé exclusivement par des hôpitaux et des cliniques médicales publiques situées sur tout le territoire brésilien.

La capacité financière du SUS représente un défi de taille, qui, si mise à mal, aura des impacts considérables sur la qualité des services offerts à la population. Il est important de souligner que, malgré les investissements mis à la disposition du SUS et les mesures adoptées par le ministère de la Santé, les ressources ne sont pas suffisantes pour gérer la crise sanitaire liée à la pandémie. Face aux besoins urgents en diverses ressources, plusieurs organisations de la société civile, dédiées à la promotion de la culture du don au Brésil, à travers un travail en collaboration avec des instituts, des fondations et des entreprises, ont lancé un appel aux investisseurs sociaux brésiliens à faire des dons d’argent pour soutenir les capacités d’action du SUS.

Ainsi, le « Fundo Emergencial para a Saúde Coronavírus – Brasil »[4] a été mis sur pied et les dons sont entièrement consacrés à la santé publique, à la science et à au développement technologique requis pour soutenir les institutions de recherche qui luttent contre le coronavirus. Créé par « l’Instituto para o Desenvolvimento do Investimento Social (IDIS) [5] », le « Movimento Bem Maior e Bsocial » et d’autres partenaires ont lancé un appel public sur internet appelant les donateurs à faire des dons d’urgence. Une dizaine de jours après le lancement du Fonds, on comptait plus de 1 200 donateurs. Les dons reçus ont été transférés au SUS, aux hôpitaux philanthropiques[6] et aux instituts de recherche.

Vulnérabilité sociale et économique et la lutte contre la Covid-19

Pour contenir l’avancée de la COVID-19, il est reconnu essentiel de respecter les règlements sanitaires imposés par les gouvernements et recommandés par l’OMS, toutefois, il faut aussi continuer d’offrir les services requis pour combattre la faim ou permettre des activités de subsistance de base pour les personnes sans revenus ou sans soutien gouvernemental ou communautaire. Cette réalité met en évidence l’importance d’agir de façon stratégique et coordonnée afin d’aligner le rôle du secteur philanthropique aux enjeux actuels.

La pandémie de la COVID-19 a donné lieu à une expansion des actions et des réseaux brésiliens de solidarité. Elle rend compte du rôle important et vital joué par une philanthropie mal connue à l’extérieur du Brésil. Dans tout le pays, l’implication collaborative des personnes, des associations communautaires, des mouvements sociaux et des organisations à but non lucratif est au cœur de la multiplication des initiatives pour aider les plus vulnérables. Des réseaux de collaboration autour de dons d’urgence ont été mis en place. On peut souligner, par exemple, les actions communautaires locales assurant la distribution de produits alimentaires et de produits d’hygiène, ou encore la mobilisation de grandes entreprises brésiliennes et internationales qui contribuent par de grosses sommes d’argent au soutien des mesures d’urgence à la population brésilienne.

À l’heure actuelle, la valorisation du rôle des communautés locales dans la réalisation d’actions collectives est essentielle. Elles répondent directement aux besoins urgents et spécifiques de chaque territoire et de ses habitants. Ces initiatives locales optimisent les ressources existantes au sein de la communauté. Selon le IDIS (2019)[8], la philanthropie communautaire est en mesure de développer des communautés et résoudre les vulnérabilités sur la base de leur propre vision des priorités et des solutions requises, grâce aux ressources et aux potentiels locaux.

Les médias sociaux et les plateformes numériques pour la philanthropie

À l’échelle mondiale, internet s’est révélé un allié important pour les gouvernements, l’OMS, les secteurs de la santé nationale et internationale et, notamment, pour les organismes philanthropiques, dans leur mise à jour de données et la circulation d’information pour lutter contre la pandémie.

Pour suivre les mesures de confinement social, les entreprises se sont adaptées au travail à distance et au télétravail. Les réseaux sociaux sont utilisés pour faciliter la communication entre les familles, les amis afin de tenir des réunions virtuelles pour ceux et celles qui ne peuvent pas être ensemble en raison de l’injonction à la distanciation sociale. De plus, la connectivité et le partage d’informations sur le coronavirus exige des critères de qualité afin de garantir des sources fiables d’information et éviter les fake news qui sont de plus en plus présentes et déversées sur différents réseaux sociaux. Comme le souligne Augey (2019), la numérisation a une incidence sur tous les secteurs d’activité et, désormais, l’adaptation numérique se dessine comme un défi essentiel. Ainsi, le partage d’informations provenant de sources fiables sur les décisions sanitaires, politiques et économiques est rôle très important qui incombe aux médias.

Pour soutenir la société civile et des organismes privés dans leurs actions de lutte contre le coronavirus, l’internet joue un rôle essentiel comme moyen stratégique de communication et d’action d’une philanthropie de masse (Zunz, 2012). (Pour en savoir plus sur la philanthropie de masse et les réseaux sociaux) Les outils numériques jouent un rôle remarquable pour les actions d’urgence en permettant la création de liens entre les donateurs, les fonds et les campagnes de collecte de dons à but spécifique.

La pandémie a réveillé le côté humain et solidaire dans cette bataille. Les exemples de cette solidarité, fondée sur des initiatives individuelles, collectives, communautaires privées ou publiques sont nombreux et se multiplient. Des personnalités publiques brésiliennes, telles que des athlètes, des artistes, des musiciens, des politiciens et des intellectuels ont joué un rôle individuel important, spontanément, même dans l’isolement social, démontrant une nouvelle façon d’être donateur et donatrice. Ce phénomène est observable à l’échelle mondiale. Au quotidien des personnalités du milieu artistique réalisent des concerts ou des prestations de leur domicile. Via l’utilisation des médias sociaux, ils sont retransmis en direct et en streaming, sur Instagram par exemple. Ces activités virtuelles rassemblent des milliers de personnes et permettent de récolter d’importantes sommes d’argent sous la forme de dons à des fins alimentaires, par exemple, démontrant la force d’un engagement social collectif et collaboratif, même s’il s’agit là d’initiatives ponctuelles et peu structurées.

De manière plus structurée, des organisations de bienfaisance au Brésil, en vue d’organiser les dons et pour donner leur redistribution destination équitable au sein de projets urgents, ont créé des sites Web et mis en place des plateformes en ligne pour aider les entreprises et les personnes qui souhaitent faire des dons. Mentionnons, par exemple, la campagne « SOS Favela ! Rede solidária contra o coronavirus[9] », qui établit un canal pour recueillir des dons via un site Web afin de distribuer de la nourriture et des articles d’hygiène essentiels pour les familles vivant dans les favelas et les périphéries pauvres de Rio de Janeiro.

Afin de contribuer stratégiquement à l’articulation, à la communication et à l’information sur les investissements sociaux, le « Grupo de Institutos, Fundações e Empresas (GIFE)[10] » a lancé une plateforme numérique de dons et de suivis publics, créant ainsi un réseau et des liens entre les donateurs et les principales campagnes de collaboration et de coopération visant l’intérêt social collectif face à la COVID-19. La plateforme intitulée « EMERGÊNCIA Covid-19 – Coordenação de Ações da Filantropia e do Investimento Social em Resposta à Crise »[11] est guidée par des lignes directrices définies par les membres du GIFE, que nous soulignons.

  • Mener des ressources et des efforts pour soutenir les fonds et les initiatives d’urgence face à l’épidémie.
  • Intégrer des actions d’urgence pour répondre aux impacts directs et indirects de l’épidémie sur les différents fronts nécessaires (santé publique, éducation, assistance sociale, entre autres).
  • Renforcer les canaux de dialogue, de coopération et de soutien face aux organisations et projets soutenus.

Parmi les principales possibilités d’information sur la philanthropie et l’investissement social en ce moment de crise au Brésil, la plateforme « EMERGÊNCIA COVID-19 » présente des informations importantes.

  • Un moniteur met à jour le volume des dons en réaux[12] et les donateurs respectifs, indiquant les valeurs individuelles des dons réalisés.
  • Les principaux fonds et campagnes de collecte de dons au Brésil et leurs objectifs respectifs.
  • Indique comment faire un don et comment les investissements apportés sont appliqués.
  • Une section présentant des guides et des outils contenant des informations et des sources fiables sur : les bonnes pratiques pour le don de nourriture, les recommandations pour la protection des enfants et des adolescents pendant la pandémie, sur la résilience en période de pandémie, etc.
  • Présente également des informations sur la pandémie dans le monde et les actions philanthropiques menées à l’échelle internationale.

À l’heure actuelle, nous voyons toute l’importance d’un pilotage stratégique légitime des actions des organisations philanthropiques afin de gérer et de planifier les collaborations entre les donateurs, le mouvement communautaire et les acteurs publics. Cette direction est déterminante pour établir la confiance dans les projets partenariaux que mettent en place les actions pour combattre les problèmes liés au coronavirus.

En guise de conclusion

Il n’est pas encore possible de mesurer les effets de cette tragédie humaine et sanitaire sur le territoire brésilien[13]. Chaque nation fait face à ses propres difficultés pour apporter des réponses immédiates à la pandémie causée par le coronavirus. Cette épreuve nous fait vivre mondialement une expérience d’apprentissages qui touchent tous les pays : riches ou pauvres. Même si le secteur philanthropique est confronté à une situation exceptionnelle, il est envisageable de penser qu’à l’avenir, cette implication humaine dans des actions spécifiques de solidarité apportera de grandes avancées pour l’expansion des investissements sociaux auprès des personnes et des communautés les plus démunies. Au Brésil, l’engagement de la société civile, des communautés locales et des organisations publiques et privées pour apporter des réponses immédiates au COVID-19 est remarquable. Il est possible que ce fait génère une culture de don et de solidarité plus dynamique et participative pour renforcer l’étendue des projets sociaux au pays en faveur de la défense du bien commun. On remarque que les actions solidaires brésiliennes sont très réactives, créatives et innovantes, notamment au sein des communautés pauvres où les interventions sociales et les aides sociales du gouvernement sont souvent absentes.  Finalement, il est nécessaire réfléchir sur la question plus concrète et à long terme de la philanthropie au Brésil issue du secteur privé et des grandes entreprises. Il semble incontournable que les compagnies acceptent l’idée de leur responsabilité pour atteindre les objectifs du développement durable et pour soutenir les projets sociaux, non seulement basés sur des gestes de solidarité en situation d’urgence, mais aussi pour développer une culture du don pour plus de justice sociale et environnementale.

Bibliographie

Références 

Augey, D., (2019). Écosystème de linformation en ligneLondon, ISTE Editions. 

IDIS., (2019). Filantropia comunitária : terreno fértil para o desenvolvimento social. https://sinapse.gife.org.br/download/filantropia-comunitaria-terreno-fertil-para-o-desenvolvimento-social. 

Guimarães, R., (2020). « Interconexão, polarização e poder dos dados: desafios e oportunidades para a filantropia.» Artigos GIFE, n.1, v.1. https://sinapse.gife.org.br/download/interconexao-polarizacao-e-o-poder-dos-dados-desafios-e-oportunidades-para-a-filantropia. 

La qualité des services de santé : un impératif mondial en vue de la couverture santé universelle, (2019). Genève. Organisation mondiale de la Santé, Organisation de Coopération et de Développement Économiques et la Banque internationale pour la reconstruction et le développement / La Banque mondiale. http://apps.who.int/iris. 

Zunz, O.(2012). La philanthropie en Amérique. Argent privé, affaires dÉtat. Paris, Fayard. 

Notes de bas de page

 

[1] D’un point de vue historique, au Brésil, le mot philanthropie a une connotation péjorative, associée exclusivement à la charité ou aux intérêts politiques et religieux. Depuis le début des années 1990, le GIFE, une association d’investisseurs sociaux brésiliens, a adopté une approche de la philanthropie, en utilisant plus spécifiquement le terme investissement social privé (ISP) pour nommer les ressources données à des projets sociaux, culturels et environnementaux d’intérêt public (Guimarães, 2020). Actuellement, avec la croissance du secteur philanthropique au Brésil et sa professionnalisation, il y a une recomposition et une reprise du concept de philanthropie et le retour de son utilisation dans le contexte de la gouvernance du secteur. Mentionnons, par exemple, l’Institut pour le développement de l’investissement social https://www.idis.org.br/, le Groupe d’instituts, fondations et entreprises (GIFE) https://gife.org.br/ et le Réseau de philanthropie pour la justice sociale www.redefilantropia.org.br . Il est important de souligner que les deux termes sont utilisés et parfois synonymes.

[2] Ministério da saúde. Sistema Único de Saúde (SUS) : estrutura, princípios e como funciona, https://www.saude.gov.br/sistema-unico-de-saude.

[3] La qualité des services de santé : un impératif mondial en vue de la couverture santé universelle. Genève : Organisation mondiale de la Santé, Organisation de Coopération et de Développement Économiques et la Banque internationale pour la reconstruction et le développement / La Banque mondiale ; 2019. Voir http://apps.who.int/iris.

[4] Fonds d’urgence pour la santé coronavirus – Brésil. https://www.idis.org.br/fundo-emergencial-para-a-saude-coronavirus-brasil-convoca-a-populacao-a-doar-para-compra-de-suprimentos-e-equipamentos-para-fortalecimento-do-sistema-publico-de-saude/.

[5] L’Institut pour le développement de l’investissement social. Voir https://www.idis.org.br/.

[6] Ce sont des hôpitaux à but non lucratif dont le SUS est la principale source de financement. Ils sont responsables d’environ un tiers des lits d’hôpitaux disponibles au pays. Voir Portela, Margareth C, Lima, Sheyla M L, Barbosa, Pedro R, Vasconcellos, Miguel M, Ugá, Maria Alícia D, & Gerschman, Silvia. (2004). Caracterização assistencial de hospitais filantrópicos no Brasil. Revista de Saúde Pública38(6), 811-818, https://doi.org/10.1590/S0034-89102004000600009.

[7] Voir https://www.ibge.gov.br/estatisticas/multidominio/condicoes-de-vida-desigualdade-e-pobreza.html.

[8] Instituto para o Desenvolvimento do Investimento Social (IDIS). Filantropia comunitária: terreno fértil para o desenvolvimento social. Voir, https://sinapse.gife.org.br/download/filantropia-comunitaria-terreno-fertil-para-o-desenvolvimento-social.

[9] SOS Favela! Réseau de solidarité contre les coronavirus. Voir http://vivario.org.br/sosfavela.

[10] Groupe d’instituts, fondations et entreprises (GIFE). Voir https://gife.org.br/.

[11] URGENCE Covid 19 – Coordination des actions de philanthropie et d’investissement social en réponse à la crise. Voir la plateforme en ligne : https://emergenciacovid19.gife.org.br/.

[12] Le réal est la monnaie brésilienne.

[13] Pour plus d’informations, voir https://www.autresbresils.net/Covid-19-au-Bresil-Le-journalisme-populaire-et-le-droit-a-la-communication-au; https://emergenciacovid19.gife.org.br/ et https://science.sciencemag.org/content/368/6488/251.1.