La diversité, l’équité et l’inclusion (DEI) sont aujourd’hui reconnues comme essentielles pour faire face aux défis complexes de notre société contemporaine. Cette réalité est particulièrement pertinente dans le cadre des conseils d’administration des fondations, où la diversité représente une opportunité sociétale majeure.
Les évolutions récentes témoignent d’une transformation des mentalités et d’une prise de conscience accrue des bénéfices que la diversité peut apporter non seulement aux fondations elles-mêmes, mais aussi aux causes qu’elles soutiennent. Alors que de nombreuses études ont démontré l’impact positif de la diversité sur les performances des organisations[1], ces travaux concernent presque exclusivement des entreprises et des organismes à but lucratif.
En Suisse, si le secteur des fondations évolue lentement vers une gouvernance plus inclusive et moderne, aucune étude n’avait jusqu’à présent exploré la diversité au sein des conseils d’administration des fondations philanthropiques.
Pour combler cette lacune, le Centre en philanthropie de l’Université de Genève (GCP) a mené une enquête auprès des membres de conseils d’administration de fondations philanthropiques, publiques et privées, en Suisse qui a abouti à publication « Diversité et conseils de fondations d’utilité publique en Suisse[2] ».
Cette étude pionnière, coécrite par Laetitia Gill et le Dr. Aline Kratz, a permis de dresser un état des lieux des pratiques et des perceptions au sein des conseils d’administration des fondations suisses concernant les actions en faveur de la diversité et de l’inclusion. Grâce à la collecte de données précieuses sur les attitudes des membres des conseils et leurs pratiques actuelles, cette recherche a formulé des recommandations concrètes et identifié des pistes d’amélioration pour renforcer l’efficacité et l’inclusivité des organes de gouvernance.
Ce travail s’inscrit dans une réflexion plus large sur la modernisation de la gouvernance des organisations philanthropiques.
La diversité est un concept multidimensionnel qui englobe plusieurs aspects tels que l’âge, le genre, l’ethnicité, les capacités physiques et psychologiques, ainsi que l’orientation sexuelle. Les auteures incluent également des dimensions comme les compétences professionnelles, les expériences de vie, la langue et la diversité de pensée. En effet, pour être véritablement efficace, la diversité doit s’accompagner de pratiques inclusives, permettant à chaque membre de se sentir reconnu et valorisé. Un conseil d’administration diversifié est mieux équipé pour refléter la société qu’il sert, ce qui conduit à des décisions plus créatives et éclairées, permettant ainsi de répondre de manière adéquate aux défis contemporains.
L’enquête réalisée a obtenu un taux de réponse de 38 %. Seules les réponses complètes ont été prises en compte, soit 720 questionnaires, représentant 107 fondations (sur les 14 000 existantes[3]). Ce processus de collecte de données a été complexe, en partie à cause des difficultés d’identification des adresses courriel des membres des conseils, souvent absentes des communications externes des fondations. Réalisée de manière anonyme, l’enquête a permis de recueillir des réponses qui reflètent les points de vue individuels des membres, sans représenter nécessairement l’ensemble de leur conseil ou de leur équipe de direction. Le sondage ne vise pas à être représentatif de la diversité des conseils de fondations, mais offre un aperçu permettant d’identifier leurs principales caractéristiques. Les résultats révèlent une composition uniforme des conseils en termes d’âge puisque plus des trois quarts des membres (78 %) ont plus de 50 ans, et seulement 5 %, moins de 40 ans. Parmi les fondations représentées dans le sondage, 37% des membres de conseils sont des femmes, 0,1% se définit d’un autre genre, le reste étant des hommes. Par ailleurs, 79 % des membres des conseils sont de nationalité suisse, soulignant une opportunité d’élargir cette diversité au niveau de l’origine. Il est également notable que la quasi-totalité des fondations (98%) proposent des mandats renouvelables plusieurs fois, et dans 28 % des cas, les membres sont élus pour une durée non limitée. Bien que ces chiffres indiquent des domaines à améliorer, ils ouvrent également la porte à des changements positifs pour l’avenir.
Une majorité significative des membres, soit 65 %, estime que leur conseil est diversifié. Par ailleurs, 90 % considèrent la diversité comme un atout, ce qui soulève des questions sur ce chiffre très élevé : reflète-t-il une réticence à admettre que la diversité pourrait ne pas être un avantage, ou bien le caractère subjectif du concept de diversité lui-même ? De plus, 86 % des personnes répondantes pensent qu’un conseil diversifié renforce l’efficacité de la fondation. Cependant, les opinions divergent quant aux leviers pour accroître cette diversité.
Par exemple, 65 % jugent que la rémunération des membres n’augmenterait pas la diversité, tandis que 65 % pensent que la formation des membres encouragerait une plus grande diversité. Ce constat souligne la responsabilité collective des conseils en matière de diversité et d’inclusion, ouvrant ainsi des opportunités pour des initiatives de sensibilisation et de formation.
Les fondations philanthropiques occupent une position essentielle dans le soutien à des causes diverses et dans la promotion de l’innovation sociale. Cependant, la composition souvent homogène de leurs conseils d’administration peut limiter leur capacité à aborder efficacement les défis complexes de la société contemporaine.
Les résultats de l’enquête témoignent d’une évolution notable des mentalités : plus de 90 % des répondants considèrent désormais la diversité comme un atout stratégique pour leur organisation. Néanmoins, cette prise de conscience, bien que prometteuse, ne suffit pas. Pour que la diversité produise un impact réel et mesurable, elle doit s’accompagner d’un engagement ferme des fondations à dépasser les intentions affichées et à transformer leurs pratiques de manière durable.
Le rapport formule des recommandations concrètes pour renforcer la diversité et l’inclusivité au sein des conseils d’administration.
Tout d’abord, il est essentiel de sensibiliser et de former les membres des conseils d’administration aux enjeux liés à la diversité, aux biais inconscients et à l’importance de la collaboration dans un environnement inclusif. Ces formations devraient inclure des exemples concrets illustrant l’impact positif de la diversité sur l’innovation et la qualité des prises de décision.
Ensuite, des efforts doivent être faits pour repenser les processus de recrutement et de renouvellement des conseils. Cela implique de privilégier un recrutement basé sur des compétences spécifiques tout en valorisant un leadership inclusif. Par ailleurs, l’introduction de limites d’âge et de mandats pourrait favoriser un renouvellement progressif et diversifié des profils, permettant ainsi une plus grande représentativité.
En outre, des actions externes et des outils de suivi devraient être envisagés pour renforcer ces dynamiques. Il s’agit notamment de sensibiliser les notaires, avocats et avocates ainsi que les personnes expertes en fondation aux atouts qu’offre une gouvernance diversifiée et d’envisager la rémunération des membres des conseils pour attirer des talents issus de milieux variés. De plus, la diffusion des offres de recrutement via des plateformes numériques constitue une stratégie efficace pour atteindre un vivier de candidats plus représentatif.
Enfin, la mise en place d’un baromètre triennal permettrait de mesurer les progrès réalisés en matière de diversité et de promouvoir les meilleures pratiques identifiées. Ces actions combinées renforceraient à la fois l’efficacité des conseils et leur capacité à innover dans un monde en constante évolution.
À mesure que les enjeux des fondations se complexifient, la diversité des conseils d’administration devient une ressource essentielle. Elle favorise non seulement une gouvernance plus innovante, mais aussi un dialogue ouvert et une prise de décision qui reflètent la pluralité des expériences humaines.
Comme le soulignent Gill et Spanu dans leur article « From diversity to pluralism: is everyone included?[4] », adopter une véritable inclusion nécessite une culture organisationnelle fondée sur l’humilité, la confiance et l’ouverture aux idées contre-intuitives. En cultivant cette dynamique, les fondations ne se contentent pas d’améliorer leur fonctionnement, elles contribuent également à un changement social significatif et durable.
Ainsi, les fondations qui intègrent des perspectives diversifiées et mettent en œuvre des pratiques véritablement inclusives se positionnent de manière optimale pour maximiser leur impact social et répondre avec agilité aux défis d’une société en perpétuelle transformation.
[1] Carter et al., 2010; Cook and Glass, 2015; Campbell and Minguez-Vera, 2008
[2] https://www.unige.ch/philanthropie/application/files/5216/6368/4473/Rapport_Diversite_FR_WEB_2.pdf
[3] https://www.swissfoundations.ch/wp-content/uploads/2024/05/24002_Swissfoundations_Rap.24_F_DEF_Digital.pdf
[4] https://www.researchgate.net/publication/380934175_From_diversity_to_pluralism_Is_everyone_included