Témoignages sur l’implication bénévole en période de COVID-19 au Québec
Entretien avec Mme Marilyne Fournier, directrice générale du Réseau de l’action bénévole du Québec (RABQ)
Directrice générale du Réseau de l’action bénévole du Québec (RABQ), Marilyne Fournier a été bénévole dans différentes organisations avant de devenir superviseure d’équipes bénévoles puis directrice provinciale du Service des ressources bénévoles de la Croix-Rouge canadienne, organisme où elle occupe toujours la fonction de formatrice nationale pour la formation en gestion des ressources bénévoles.
Le RABQ est un réseau de 30 regroupements provinciaux, auxquels sont associés 7 000 organismes, ce qui représente 1,6 million de bénévoles impliqués dans différents secteurs d’activité au Québec. Sa mission se décline à deux niveaux. D’abord, le RABQ est l’interlocuteur privilégié du gouvernement du Québec en matière d’action bénévole. Il agit ainsi comme partenaire du gouvernement dans la mise en œuvre de la Stratégie gouvernementale en action bénévole 2016-2022. Ensuite, en tant que porte-parole de ses membres, le RABQ se veut un lieu de promotion et de développement d’une vision globale de l’action bénévole au Québec.
David Grant-Poitras (DGP) : Quel a été l’impact du confinement sur les bénévoles ?
Marilyne Fournier (MF) : C’est sûr que les bénévoles plus à risque, comme les personnes âgées ou avec la santé fragile, ont trouvé la situation plus difficile parce qu’ils ont dû mettre un terme à leurs activités au début de la pandémie. Les organismes se sont tout de même « revirés de bord » assez rapidement pour offrir des alternatives facilitant la continuation du bénévolat, comme le « télé-bénévolat » par exemple. On a transformé les visites d’amitié en appels d’amitié. Au niveau de la sécurité alimentaire, plutôt que de faire une livraison par jour, on pouvait faire une livraison par semaine avec des produits congelés. Donc nos membres se sont vraiment mobilisés pour continuer à offrir leurs services.
DGP : Quel a été l’effet de la première vague sur le niveau d’engagement bénévole de la population ?
MF : L’engagement a été plus fort. Moi ça fait 20 ans que je travaille dans le domaine du bénévolat, j’ai été 15 ans en urgence, et je dirais que chaque fois qu’il y a une catastrophe, il y a une mobilisation spontanée des citoyens et citoyennes du Québec. Cela s’est aussi reflété au niveau de la pandémie. Le site internet JeBénévole.ca, qui avait été mentionné en point de presse au mois de mars, est un site internet de jumelage qui existait déjà depuis quelques années et qui est porté par la FCABQ et les CABQ. Quand le ministère a décidé d’utiliser cette plateforme pour recueillir les candidatures bénévoles, plus de 40 000 candidatures ont été reçues. Et sur ces 40 000 candidatures, les organismes ont réussi à retenir plus de 20 000 personnes afin qu’elles s’impliquent là où étaient les besoins. Notre défi est de maintenir le bénévolat de ces gens-là qui, peut-être, c’est la première fois qu’ils ou elles pensaient à donner de leur temps du fait qu’ils ou elles avaient du temps de libre tout à coup – soit parce qu’ils ou elles tombaient sur le chômage ou en raison de la PCU. Un des mythes associés au bénévolat, c’est que ça prend beaucoup de temps pour être bénévole. Or, notre dernière étude menée en 2018 auprès de 2 282 bénévoles nous indique que la moyenne d’heures par bénévole est d’environ 12 heures par mois. Donc ça ne prend pas 50 heures par mois pour devenir bénévole. Alors il faut défaire ce type de mythe pour maintenir l’intérêt des gens afin qu’ils ou elles poursuivent leur engagement même lorsque ces personnes retourneront en emploi.
DGP : Outre les conférences de presse, quelles ont été les autres actions gouvernementales pour valoriser l’action bénévole?
MF : Ç’a été mentionné souvent que les organismes avaient besoin de bénévoles. Et on voyait le nombre de candidatures croître quand le premier ministre mentionnait JeBénévole.ca. C’est surtout ça l’apport du gouvernement. Mais je mentionnerais qu’un problème au niveau du discours public est qu’il y a une tendance à opposer les « besoins de bénévoles » aux « besoins en matière de financement ». Ces besoins sont présentés comme interchangeables, comme si le bénévolat comblait le manque de financement ou comme si, vice-versa, l’ajout de financement permettrait de remplacer les bénévoles par des professionnels salariés. C’est malheureux, parce que ces deux besoins ne sont pas opposés un à l’autre. Je pense que c’est une erreur qu’on fait. Bien que les organismes aient besoin de financement, si on enlève tous les bénévoles des organismes pour mettre des gens rémunérés, on va perdre l’essence des organismes communautaires et des organismes bénévoles. C’est pourquoi les deux besoins essentiels : on a besoin de bénévoles, et on a aussi besoin de financement pour offrir nos services et offrir de bonnes conditions de travail à nos employé.e.s. Un bénévole, ce n’est pas une personne qui remplace un.e employé.e qui pourrait être payé.e si on avait l’argent nécessaire. Il ne faut pas que ce soit ça, parce que c’est là qu’on va tomber dans le « cheap labor ». Donc le bénévolat a un apport en soi, il apporte quelque chose de plus dans la relation entre la personne aidée et l’organisme qui aide la personne, il apporte une dimension humaine aux services qu’on offre.
DGP : Avez-vous constaté un épuisement de l’engagement bénévole avec l’arrivée de la deuxième vague ?
MF : Nous n’avons pas vu un phénomène aussi « emballant » qu’avec la première vague. Évidemment, je pense qu’avec la première vague, il y a beaucoup de gens qui se retrouvaient à ne plus pouvoir travailler parce qu’on avait mis le Québec sur pause, ce qui n’est pas le cas de la deuxième vague. Donc les gens qui continuent à travailler en présentiel, ou qui continuent par le télétravail, ont moins le réflexe de se dire qu’ils ont du temps : possiblement parce qu’ils ou elles se disent que ça prend beaucoup de temps pour être bénévole, ce qui n’est pas le cas. On revient encore à notre mythe de tout à l’heure. Mais nous n’avons pas vu une affluence aussi significative que pour la première vague. Là où on peut rencontrer des problèmes, et on revient à nos bénévoles qui sont plus âgés ou qui ont des problèmes de santé et qui sont plus à risques, ces personnes demeurent moins présentes physiquement dans les organismes. Mais comme je vous le disais, la majorité a été capable de se voir confier des tâches en télé-bénévolat ou en soutien au travail, sans nécessairement être présente dans les locaux de l’organisme.
DGP : Depuis la crise dans les CHSLD jusqu’à aujourd’hui, comment est-ce que les besoins ont évolué ?
MF : La question des CHSLD a été travaillée avec l’aide de la Croix-Rouge. Son personnel n’est pas composé de personnes bénévoles. Elles sont rémunérées et formées pour travailler. Actuellement, pour ce qui est des besoins en bénévolat, on est plus au niveau de maintenir les visites d’amitié par des visites téléphoniques. Les centres d’écoute téléphonique n’ont pas du tout diminué leurs activités : ils ont continué à recevoir des appels et ont augmenté leur volume d’appels. Dans les centres d’écoute téléphonique, nous avons donc besoin de bénévoles. Au niveau du loisir en général, c’est certain que pour le sport et les activités de loisir tout est pas mal arrêté, mais les bénévoles qui étaient là avant la pandémie, on va toujours avoir besoin d’eux après la pandémie. Et comme on pense que certains bénévoles ne poursuivront peut-être pas après la pandémie, il faut déjà commencer à penser à renouveler nos banques de bénévoles dans les secteurs d’activités qui ne sont pas de première ligne.
DGP : Est-ce que des choses ont changé dans vos façons de travailler au RABQ ?
MF : Nous c’est sûr qu’on a plus un rôle de soutien, un rôle-conseil, et on a aussi un rôle de porte-parole. Quand le gouvernement du Québec a communiqué avec nous concernant le besoin de bénévoles dans les organismes, nous avions proposé d’utiliser la plateforme JeBénévole.ca. Donc a eu un rôle d’intermédiaire entre le gouvernement et la FCABQ, un rôle de négociateur aussi, parce qu’il fallait mettre à niveau la plateforme, il fallait l’habiller façon COVID ; et ce n’est pas gratuit tout ça. Sinon, sur notre site internet, on a fait une section spéciale à l’intention de nos organismes sur le bénévolat en temps de pandémie. Donc comment accueillir nos bénévoles, comment rassurer nos bénévoles qui seraient inquiets par rapport à la COVID-19 ou par rapport à la planification de leurs activités bénévoles. On s’est aussi assuré de communiqué régulièrement avec nos membres pour voir s’ils avaient des problèmes ou des enjeux pour lesquels on pouvait les aider. Un des éléments qu’on a observé, c’est par rapport à la vérification des antécédents judiciaires chez les candidats bénévoles.
L’année passée, nous avions déjà convenu avec le gouvernement que certaines catégories de bénévoles devraient absolument être vérifiées au niveau des antécédents judiciaires, mais aussi par rapport à d’autres formes d’empêchements, pour la raison qu’ils sont en lien avec des clientèles vulnérables. J’ai eu à intervenir une ou deux fois avec le ministère de la Sécurité publique parce que des organismes m’informaient que, dans certaines villes, bien que certaines tâches bénévoles fassent partie de la liste, le corps de police ne faisait pas les vérifications nécessaires. Alors moi, je me retournais du côté du ministère dans ces cas-là, et le ministère faisait un lien avec la ville et le corps de police pour régler la situation. De cette façon, nous avons joué un rôle d’intermédiaire entre le ministère et les organismes membres. Mais dans l’ensemble, je dirais qu’on a surtout fait du monitoring pour s’assurer que nos membres étaient corrects et demeurer disponibles s’ils avaient besoin de nous pour les représenter ou pour régler des problématiques spécifiques.
DGP : Selon vous, la pandémie provoquera-t-elle des transformations durables au sein du réseau ?
MF : Je pense que, pour nos membres, il y a eu de belles découvertes. La COVID-19 les a obligés à s’adapter d’une certaine façon. Puis, il y a des pratiques qui vont demeurer en place. Je pense entres autres aux visites d’amitié, qui est un concept qui a été repensé sous la forme des appels d’amitié. Même chose du côté des hôpitaux, où nous avons des bénévoles qui accompagnent des bénéficiaires dans leurs traitements et où l’accompagnement a été adapté avec des appels. Imaginons qu’à l’avenir, s’il survient des circonstances quelconques empêchant les bénévoles d’avoir accès aux patients dans les hôpitaux, et bien cette façon de faire pourra certainement être reprise. Même chose dans la façon qu’on offre nos services de sécurité alimentaire. Surement qu’il y a des choses qui ont été mises en place à cause de la COVID et qui vont demeurer parce que, finalement, elles auront été efficaces.
DGP : Prévoyez-vous un changement du visage du bénévolat au Québec ? Peut-on s’attendre à des changements démographiques au niveau de l’action bénévole ?
MF : Je souhaite que les gens qui se sont portés volontaires dans cette crise sanitaire demeureront bénévoles à plus long terme. Et c’est sûr qu’au niveau des moyennes d’âge, la pandémie a réduit notre bassin de bénévoles parce que les gens de plus de 60 ou de 65 ans ne se proposaient plus nécessairement pour être bénévoles. Avec les 40 000 candidatures, moi j’ai l’impression qu’on est allé chercher un peu des populations étudiantes, mais surtout les gens de 35-49 ans qui sont souvent nos « bénévoles fantômes », parce que ces personnes sont impliquées dans les CPE, dans les clubs sportifs, dans les clubs artistiques de leurs enfants, dans les conseils d’établissement, etc. Et ils ou elles ne se considèrent souvent pas eux-mêmes comme des bénévoles.
C’est certain qu’on verra par la suite si les gens qui se sont mis sur pause vont revenir. On travaille beaucoup entre autres dans les organismes qui ont cessé leurs activités, comme au niveau du loisir par exemple. Le Conseil québécois du loisir, un des membres du RABQ, a fait une lettre ouverte cette semaine pour revendiquer que le loisir soit considéré comme un service essentiel. Parce que, pour les gens qui le pratiquent, c’est une belle façon de s’intégrer et de créer des liens sociaux. Cela s’applique tout autant pour les bénévoles qui s’impliquent au sein de ces organismes. Le message qu’on veut envoyer c’est : nous sommes juste sur pause, et nous aurons besoin de tous nos bénévoles quand on va reprendre nos activités.
Cette entrevue fait partie d’une série sur le bénévolat au Québec durant la crise de la COVID-19. Trouvez tous les entrevues de la série ici:
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