Entretien avec Marie Simard, Paroles d’ExcluEs

Par Diane Alalouf-Hall , Doctorante et Coordonnatrice du PhiLab Quebec
05 décembre 2020

Entretien avec Marie Simard, Chargée de projets culturels, programmation, mobilisation citoyenne, logistique et art social, Paroles d’ExcluEs

Témoignages sur l’implication bénévole en période de Covid-19 au Québec

Par Diane Alalouf-Hall

Marie Simard Paroles d'exclues

 

Marie Simard : Œuvrant depuis plus de 30 ans à créer des ponts entre les plus excluEs et la culture, elle a été formée par l’université des quartiers et de la rue auprès de professeurs experts en pauvreté : les citoyens. Aujourd’hui, au sein de Parole d’excluEs elle cultive le développement des pouvoirs d’agir collectif et individuel et porte la parole de ceux qui ne se font pas toujours entendre par l’art, la revendication et l’action.

 

 

Parole d’excluEs est une organisation à but non lucratif de Montréal-Nord créée en 2006 pour renouveler les pratiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale. Maintenant établie dans deux quartiers de Montréal-Nord «l’ilot Pelletier » et « Lapierre », et ayant un rayonnement sur l’arrondissement et plus largement Montréal et à l’international par sa pratique, l’organisation a développé un modèle d’action qui part des besoins exprimés par des personnes vivant en situation d’exclusion sociale et de pauvreté pour elles-mêmes. Parole d’excluEs permet de développer des projets collectifs structurels et de porter des messages aux autorités publiques et aux médias dans le but de transformer le système économique et politique afin qu’il soit producteur d’inclusion et non d’exclusion. Les bénévoles, impliqués dans l’organisation les « citoyens et citoyennes », participent pleinement aux activités aux côtés des équipes d’employés-es. Les citoyens et citoyennes peuvent ainsi : collaborer au développement de projets, donner leur avis, influencer les grandes orientations, participer aux comités de travail, joindre le conseil d’administration et surtout faire construire un mouvement rassembleur qui trouve des solutions à des enjeux prioritaires identifiés par les citoyennEs.

 

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Diane Alalouf-Hall (DA-H): Quel a été l’impact de l’annonce du confinement le 13 mars dernier sur votre organisme et sur les « citoyens-nes » ?

Marie Simard (MS) : Je me souviens très bien de l’annonce faite dans la soirée du 12 mars ! Il faut savoir que nos deux locaux sont des lieux de partage, de rencontre qui permettent de proposer des idées et des projets, mais pas seulement. Ce sont également des lieux qui visent à briser l’isolement social. Malheureusement le 13 mars, nous avons dû fermer les locaux. Tous les projets ont été stoppés du jour au lendemain. Cependant, malgré les défis du confinement, Parole d’excluEs a continué de rejoindre les personnes les plus vulnérables avec le soutien de citoyens-nes très impliqués-es que nous appelons des « citoyens et citoyennes relais ». Ces personnes sont nos “yeux” sur le terrain et sont essentielles.

À ce moment précis, il fallait aussi comprendre ce qui était en train de nous arriver. Nous n’avions pas autant d’informations qu’aujourd’hui et il a fallu gérer des peurs. Nos agents-es terrain ont dû augmenter les accompagnements psychologiques. D’autant plus que dans la partie ouest de l’arrondissement, « Mission Bon Accueil »1 a dû provisoirement fermer ses portes. C’est un autre lieu essentiel pour les personnes qui fréquentent l’ilot Pelletier.

DA-H:Comment les « citoyens et citoyennes » ont apporté leur aide pendant les neuf derniers mois ?

MS : Les citoyens-nes relais ont spontanément et très rapidement monté une chaine de solidarité, d’abord téléphonique. Les personnes ont échangé pour prendre des nouvelles, vérifier que tout allait bien malgré tout. Ensuite, on a pu assister à des échanges alimentaires « clandestins », en fonction des besoins des uns et des autres. Une cane de petits pois contre une cane de fèves au lard, etc. L’accès à une alimentation saine et variée n’est pas évident. C’est une problématique sur laquelle nous travaillons depuis des années et il y a eu la création du SAPT. Nous avons, entre autres, procédé à des achats groupés qui ont abouti à la création de l’organisme Paniers futés et nous avons installé des abeilles sur les toits d’un immeuble de l’îlot Pelletier, et créé des jardins sur les 2 sites. Cette pandémie a soulevé l’urgence alimentaire surtout au début du confinement. Comment faire ses courses quand on est confiné ? Il est important de rappeler que durant la première vague, prendre l’autobus était vraiment compliqué et dangereux. On peut vraiment parler de survie alimentaire. Par ailleurs, nous étions en milieu de mois, le portefeuille de beaucoup était déjà presque vide. Nous avons rapidement réagi en débloquant des fonds pour financer des « paniers repas » dans l’urgence.

Parallèlement, un petit groupe de citoyens et citoyennes s’est formé pour faire les courses de personnes qui ne pouvaient pas sortir de chez elles. Dans cette équipe, Manon et Céline L. ont entreposé des produits alimentaires à leur domicile, car nous ne pouvions plus ouvrir notre local. Céline B et Guy se sont beaucoup déplacés, ils ont pris des risques en faisant les courses et des livraisons de denrées alors que nous n’avions pas encore de matériel de sécurité (maques, gants, visières) à leur fournir. Tout cela s’est déroulé en une semaine ! Heureusement, aucun d’entre eux n’est tombé malade. Nous étions derrière, en accompagnement, pour sensibiliser à propos des règles d’hygiène afin de ne pas se mettre soi-même et/ou de mettre les autres en danger. Cependant, nous n’avons rien initié, tout est venu des citoyens-nes, nous avons accompagné l’initiative. C’était une très belle prise en charge de la part des citoyens-nes. D’abord, cette mobilisation spontanée a permis d’augmenter la sécurité en réduisant les déplacements, en particulier pour les aînés-es et les familles monoparentales. Ensuite, ces marques de solidarité ont établi une ambiance bienveillante à un moment où nous en avions tous et toutes besoin. C’était très beau, très touchant.

DA-H: Qu’avez-vous pu mettre en place et observer entre la 1ère vague et la 2e vague de la pandémie ?

MS : Durant « l’entre-deux guerres », à l’été, nous avons priorisé le repos des citoyens-nes relais. Tout le monde avait travaillé très fort. Nous leur avons recommandé de se reposer et nous avons accompagné le déconfinement progressif. Nous savions qu’à l’automne on sera reparti pour un autre tour… À ce moment, le moral était bien bas, nous avons donc augmenté les apports en soutien psychologique. Un atelier « comment se déconfiner en santé ?» a été donné, et nous avons mis à disposition des personnes des séances de discussion de groupes avec une psychologue en ligne. La programmation de l’Espace Santé citoyen s’est intensifié et l’extérieur nous a permis de se rassembler enfin ! pas plus de 10 personnes… Nos locaux ont progressivement été ouverts. Il était alors possible à des personnes de participer à des séances de la psychologue depuis une salle de chez nous. Les autres participant-e-s étaient connecté-e-s via leur ordinateur. Les personnes se sont habituées à cette discussion en ligne et dans l’ensemble, cette initiative a été très appréciée. La psychologue n’agissait pas à titre de bénévole, mais nous avons aussi des infirmiers-ères qui sont intervenu-e-s bénévolement. Concernant le soutien psychologique, mon collègue et moi-même avons nous aussi eu besoin de nous décharger. Paroles d’ExcluEs a mobilisé des ressources pour cela. Les citoyens-nes, nous ont également aidé, car ils et elles s’intéressent à nous autant que nous nous intéressons à eux et à elles. Les citoyens-relais sont maintenant mes collègues.

Une autre action majeure pendant l’été est à souligner. C’est la réouverture de nos locaux. Elle s’est fait grâce à l’implication des citoyens et citoyennes qui se sont réunis-es (dans les règles sanitaires) pour développer un argumentaire solide au profit de la réouverture. Ils l’ont eu gain de cause. Une procédure rigoureuse a donc été rédigée et mise en place par et pour les citoyens-nes avec : tenue de registre sanitaire, nettoyage toutes les heures, aération, nombre de personnes à ne pas dépasser dans le local, etc. Depuis nous sommes ouverts et tout se passe bien. Un changement d’attitude dans le local est à noter. Avant, nous encouragions que chacun s’occupe de soi et de son impact sur le collectif. Par exemple, il fallait dans le local au moment des repas s’occuper de sa cuisine et du nettoyage. Aujourd’hui nous évitons les déplacements inutiles alors nous servons.

DA-H: Comment envisagez-vous l’après COVID ?

MS : La pandémie a eu un impact sur les enjeux de la violence sous toutes ses formes ( violences conjugales, la montée de la criminalité, etc) , les consommations drogue et alcool, dégradation de la santé physique et de la santé mentale. Ces enjeux ne vont pas s’atténuer avec la fin de la pandémie. Nous avons traversé des épreuves difficiles. J’ai dû mettre moi-même des personnes épuisées par la situation dans l’ambulance alors que ce n’est pas mon rôle. Normalement, je monte de projets et j’ai brutalement glissé vers le travail d’une intervenante sociale. C’était ça la réalité. Les besoins exigeaient que l’on s’adapte. C’est aussi devenu très compliqué pour nous aussi. La conciliation travail/famille a été et est encore difficile. On a besoin de moyens dans le milieu communautaire pour soutenir les projets et soutenir les citoyens qui ont tellement d’idées et qui possèdent une vision plus fine des solutions à leurs besoins. Il faut retenir de la pandémie que les citoyens-nes sont capables de s’organiser très vite et sur le long terme. Ce sont plus que des bénévoles, ce sont des collègues. Aux vues de la quantité et de la qualité du travail qu’ils et elles ont fourni et qu’ils et elles fournissent encore durant la pandémie, ils et elles mériteraient au minimum une reconnaissance et surtout un salaire !

Sinon plus concrètement, nous allons continuer à travailler avec les nouvelles technologies telles que Zoom ou les autres plateformes de visioconférence. Cela nous a montré un certain avantage auprès des personnes qui ne pouvait pas se déplacer et nécessaire pour l’accès aux soins de santé qui est de plus en plus en visioconférence pour les séances psy et rencontre avec son médecin de famille. Cependant, cela nécessite un gros travail pour contrer la fracture numérique. Tout le monde n’a pas accès à internet, ou sait utiliser un ordinateur. J’ai vu, pendant la pandémie, des personnes lâcher leurs abonnements téléphoniques pour des raisons financières. L’isolement est encore plus lourd ! Comment échanger, prendre des nouvelles et évidemment accéder aux informations ? L’enjeu est grand.

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Ces gestes de solidarité dans les quartiers sont possibles grâce à l’implication d’organismes agissant en hyper proximité, tels que Parole d’Exclues. Ces organismes peuvent bénéficier d’un bassin de bénévoles actifs qui démontrent leur capacité d’agir en la mettant au service de l’entraide. Ces actions spontanées qui relèvent parfois de la survie s’inscrivent dans un contexte où des réponses structurantes aux enjeux qui remontent à l’avant COVID-19 tardent à se concrétiser : l’accès à l’alimentation et aux services de santé, les défis économiques de certains quartiers tels que Montréal-Nord, la lutte contre la fracture numérique la révision des politiques publiques de sécurité du revenu pour un revenu minimum garanti décent.


Cette entrevue fait partie d’une série sur le bénévolat au Québec durant la crise de la COVID-19. Trouvez tous les entrevues de la série ici:

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