En juin 2022, le gouvernement du Canada se dotait d’une nouvelle mouture de la Loi de l’impôt sur le revenu (LIR). Deux modifications relativement significatives étaient au cœur des changements apportés : une hausse du quota de versement de 3.5% à 5% pour les fondations subventionnaires détenant des actifs supérieurs à un million de dollars; et, un assouplissement important des règles concernant l’attribution de ressources philanthropiques à des donataires non reconnus.
Ces modifications sont survenues à la suite d’une large consultation réalisée par le gouvernement canadien auprès des premiers intéressés. Le Comité sénatorial spécial sur le secteur de la bienfaisance a réalisé une étude exhaustive du secteur. Dans ce cadre, 24 audiences publiques ont été tenues et un sondage en ligne a permis de recueillir 695 réponses d’organismes du secteur[1]. En fait, pas moins de 42 propositions[2] de modifications, n’incluant pas la hausse du quota à 5%, ont découlé des travaux du Comité chargé de prendre note des améliorations souhaitées aux règlements fiscaux concernant la bienfaisance. Elles sont rassemblées dans le rapport intitulé « Catalyseur du changement : une feuille de route pour un secteur de bienfaisance plus robuste ». Pour cette édition spéciale, un entretien vidéo a été réalisé auprès de Mme Hilary Pearson, anciennement coprésidente du Comité, pour faire le point sur le travail accompli et les retombées générées par ce groupe de travail.
Parmi les propositions, certaines portaient sur le bénévolat afin de reconnaître et de soutenir le rôle essentiel des bénévoles dans le secteur de la bienfaisance, entre autres en élaborant une stratégie nationale d’action bénévole, en facilitant l’accès aux vérifications du casier judiciaire et en développant des programmes de reconnaissance des bénévoles (recommandations 1 à 4 notamment). D’autres portaient sur les frais généraux afin de reconnaître les coûts réels associés à la prestation de programmes et de services de bienfaisance, notamment en reflétant les frais généraux et d’administration comme des coûts admissibles à du financement, en sensibilisant les donateurs et le public à l’importance des frais généraux, et en encourageant les organismes de bienfaisance à adopter des pratiques de transparence et de reddition de comptes (notamment les recommandations 9 à 12).
Ce sont principalement les recommandations portant sur le statut d’organisme de bienfaisance qui nous ont intéressées au PhiLab. Deux recommandations concernaient de façon spécifique les quatre grandes finalités de bienfaisance inscrites dans la Loi : le soulagement de la pauvreté, la promotion de l’éducation, la promotion de la religion et toutes autres fins jugées utiles pour la collectivité. Inspirées de la législation britannique sur la bienfaisance, ces finalités remontent à une décision jurisprudentielle datant de la fin du 19e siècle[3]. Elles mériteraient grandement d’être mises à jour en regard des profondes transformations qu’a connues la société canadienne au fil des cent vingt dernières années.
Recommandation 24
Que, compte tenu de l’importance de favoriser l’évolution de la définition d’organisme de bienfaisance dans la common law, le gouvernement du Canada envisage de prendre des mesures pour aider les organismes dont la demande d’enregistrement est refusée ou dont le statut est révoqué à en appeler des décisions de la Direction des organismes de bienfaisance de l’Agence du revenu du Canada.
Recommandation 25
Que le gouvernement du Canada, par l’intermédiaire du Comité consultatif sur le secteur des organismes de bienfaisance, examine le sens donné à organisme de bienfaisance en common law afin de déterminer si le Canada devrait suivre l’approche adoptée par d’autres gouvernements, notamment ceux d’Australie et d’Angleterre, et promulguer une loi qui l’élargirait.
Au nombre des nouvelles dimensions à prendre en considération en matière de finalités philanthropiques, nous retrouvons l’enjeu de la justice ou des injustices sous toutes leurs formes, dont l’injustice environnementale. Sur cet important enjeu, la tenue dernièrement de la COP28 nous rappelle tant l’importance d’une mobilisation élargie que le besoin de voir chaque grand groupe d’acteurs sociaux se doter de politiques transversales en faveur de plus de justice sociale et d’une plus grande mobilisation concernant la justice environnementale.
Politiques collectives en matière de justice sociale et environnementale
Il ne fait aucun doute qu’une transition est en cours. Elle est principalement promue par différents paliers de gouvernement à l’échelle mondiale, par la classe d’affaires internationale et revendiquée par nombre d’organisations de la société civile. Plusieurs exemples québécois méritent d’être soulignés ici pour leurs méthodes et leurs engagements. Notamment :
- ENvironnement JEUnesse[4] dont le travail vise à sensibiliser, former et mobiliser les jeunes du Québec sur les enjeux environnementaux et sociaux en entamant une action collective contre le gouvernement du Canada pour qu’il respecte les droits fondamentaux des jeunes et agisse pour contrer la crise climatique.
- L’initiative Québec ZEN du front commun pour la transition énergétique[5] qui a produit une feuille de route de mesures concrètes pour la transition du Québec vers la carboneutralité, è la suite d’une collaboration entre plus de 200 personnes issues de 85 organisations et 12 universités.
- L’initiative Transition en commun (TeC)[6] qui se veut une alliance entre des groupes citoyens, des organismes de la société civile, la Ville de Montréal et d’autres institutions pour faire avancer des initiatives de transition socio-écologiques au sein des quartiers.
À rebours de ces initiatives citoyennes, la transition est largement présentée par des gouvernements et le monde des affaires sous la forme d’une grande et unique réponse : la transition énergétique. Même si les Objectifs de développement durable de l’ONU touchent une variété de dimensions, les promoteurs et promotrices de l’approche par transition énergétique ont fait le pari que la mitigation de la crise climatique passerait essentiellement par une substitution. Il s’agirait d’abandonner le recours aux énergies fossiles et de les remplacer par des énergies douces : éco-performance, électrification, bio-carburants, hydrogène vert, décarbonisation, énergie solaire, transport vert…
La transition énergétique : est-ce suffisant ?
Définitivement non. Si l’économie représente une dimension clé support au fonctionnement et au développement de la société canadienne, force est de constater que tous les maux sociaux débordent la sphère économique. Il importe d’aborder la transition de façon holistique et écosystémique et non sous un angle uni-dimensionnelle et systémique. Nous avons avantage à penser les politiques guides au fonctionnement et au développement de notre société de façon large, inclusive, complémentaire, subsidiaire, solidaire, altière, viable. Il s’agit alors de penser des « politiques collectives », et non sectorielles, comme l’envisage l’État. Lesquelles politiques sectorielles sont essentiellement pensées et déployées en silos.
Qu’est-ce à dire pour le secteur philanthropique ?
Cela revient à considérer la philanthropie sous un angle nouveau. Non plus en fonction d’une posture limitative consistant à répondre uniquement aux urgences ou manquements de l’État, mais aussi de le faire de façon transformative afin de renforcer la compréhension des causes profondes qui sont à la source des urgences. Il s’agit également de le faire de façon transformative afin d’agir sur les causes profondes pour les éradiquer.
Ce double enjeu – travailler à la mitigation des effets structurels et à l’éradication des causes profondes – demande un ensemble de postures et de politiques novatrices.
- Postures : au sens de changer l’angle de vue, la position d’analyse et l’engagement à l’action. Le tout permettra le développement de nouveaux comportements et habitudes de penser et d’agir.
- Politiques : au sens où la nouveauté a besoin d’être institutionnalisée, mais où cette institutionnalisation sera édifiée sur une note positive et non restrictive et aliénante.
- Novatrices : au sens où il ne s’agira pas seulement de répondre aux urgences pour combler un manque ou un déficit, mais où il s’agira aussi de mettre en mouvement les personnes, les organisations, les institutions ou les territoires concernés afin qu’ils et elles participent pleinement non seulement à l’effort de mitigation, mais aussi à une meilleure compréhension des processus et des dynamiques en place.
- Novatrices : où il s’agit aussi de travailler de façon critique à la construction d’un nouvel ordre social.
D’où l’importance d’un agir et d’un leadership étatique éclairé en matière philanthropique. Cela demande aux fondations et autres organismes de bienfaisance de s’engager politiquement et de prendre part au débat public. Agir de la sorte était chose compliquée et risquée avant les changements réglementaires implantés en 2018. Ces derniers ont reconnu le droit des organisations de bienfaisance à mener ou financer des activités politiques non partisanes.
Nous ne devons pas perdre de vue que les actions philanthropiques sont partiellement régies par l’État. Nombre des mécanismes de bienfaisance privés relèvent de mécanismes ou de dispositifs pris en charge par des banques ou des groupes d’investisseurs sociaux. Autant de lieux qui échappent en partie aux règlementations sur la bienfaisance. L’État a ainsi un rôle phare à jouer en matière d’orientation des actions philanthropiques. Les mécanismes étatiques de régulation doivent être alignés à la nouvelle réalité de l’investissement à vocation et à portée sociale ou environnementale. Les finalités de la beinfaisance ont donc avantage à intégrer la question écologique.
Il s’est passé plus de deux ans depuis le dépôt des 42 recommandations au gouvernement fédéral de Justin Trudeau.
- Quels sont les impacts des changements adoptés sur le secteur de bienfaisance (l’augmentation du quota de versement ainsi que l’assouplissement de règle concernant l’attribution de fonds à des donataires non reconnus)?
- Que se passe-t-il pour les chantiers encore en suspens et actuellement non traité dans la nouvelle mouture de la LIR?
Le dossier spécial que nous avons monté regroupe du contenu sous plusieurs formes (articles, podcast, capsule vidéo) dans le but d’apporter des éléments de réponses à ces deux questions. Il entend nourrir les réflexions et débats en cours concernant les transformations présentes et futures sur le régime canadien de bienfaisance.
Prendre du recul avec Hilary Pearson: Qu’est-ce qui a changé dans la réglementation de bienfaisance? Avec Hilary Pearson
Cet article fait partie de l’édition spéciale de Janvier 2024: Modernisation de la loi sur la bienfaisance. Vous pouvez trouver plus d’informations ici.
[1] Pour information, on dénombre environ 170 000 organismes de bienfaisance et sans but lucratif au Canada.
[2] https://sencanada.ca/fr/info-page/parl-42-1/cssb-catalyseur-du-changement/
[3] Chambre des lords, 20 juillet 1891 : https://www.parliament.wa.gov.au/publications/tabledpapers.nsf/displaypaper/3912668a6ae5511fce7ec38e48257df8003568fc/$file/2668.pdf
[4] https://enjeu.qc.ca/justice-climatique/
[5] https://www.pourlatransitionenergetique.org/
[6] https://transitionencommun.org/