Avons-nous réellement saisi le potentiel des femmes dans le secteur de la philanthropie ?

Par Diane Alalouf-Hall , Doctorante en Sociologie
14 janvier 2020

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En 2017, à la suite de la journée militante du 8 mars qui célébrait les réalisations économiques, politiques et sociales des femmes, PhiLab Québec publiait l’article « Quel rôle pour les femmes dans la philanthropie subventionnaire canadienne et québécoise ? ». À l’occasion du dernier dossier spécial sur « la philanthropie et le féminisme » paru en décembre 2019, le temps est venu de mettre à jour cet article, en particulier en présentant des informations concernant l’évolution du nombre de grandes donatrices, leurs intérêts et leur impact sur le secteur de la philanthropie. 

 

Plus de joueuses autour de la table des philanthropes

Traditionnellement, les femmes ont toujours été au cœur des activités d’aide aux plus démunis-es, au soutien des familles et toutes autres activités liées au foyer (Cohen, 2010). Les mouvements en faveur de l’égalité économique et sociale et les changements importants dans les rôles des hommes et des femmes ont permis à ces dernières de s’impliquer davantage dans le secteur de la philanthropie (Dale et al., 2015) en même temps que celle-ci se professionnalisait. Ces changements, conjugués à un niveau d’instruction plus élevé, ont modifié la réalité. Par leurs activités professionnelles, les femmes sont autant susceptibles que les hommes d’être des philanthropes.

Jusqu’au début du 20e siècle, les hommes ont juridiquement été les principaux donateurs. Au fil du dernier siècle, cette réalité s’est transformée. Si l’on se concentre sur la réalité contemporaine, selon Statistique Canada, entre 2004 et 2011, le revenu total moyen des femmes au Canada a augmenté de 16 % comparativement à une augmentation de 6 % pour les hommes. Les prévisions d’ici 2026 vont dans le même sens puisqu’il est estimé que 48 % de toute la richesse au Canada sera contrôlée par des femmes. La banque TD justifie cette accumulation de richesses par l’amélioration de l’égalité des revenus et au fait que les femmes ont tendance à hériter deux fois : l’héritage de la famille, mais aussi celle des conjoints ou des partenaires (Rapport TD, 2014). 

Quelle que soit la provenance de leur fortune (héritage, mariage ou de manière autodidacte) les femmes représentent une force financière puissante à prendre en considération dans le milieu de la philanthropie, d’autant plus qu’elles considèrent l’argent comme un moyen de changer la société pour le mieux (Shaw et Taylor, 1992). L’étude de 2015, Women’s Philanthropy Institute (WPI) de l’Université d’Indiana, montre que la propension au don est supérieure chez les femmes que chez les hommes parmi les milléniaux, les seniors, et les célibataires. Elle montre aussi que lorsque le revenu d’une femme augmente, celle-ci est plus encline qu’un homme à faire des dons dans une situation comparable. Si tout cela se confirme aux États-Unis, quand est-il au Canada et au Québec ? 

En 2012, on estime que les Canadiennes ont donné 3,3 milliards de dollars à des organismes de bienfaisance contre 1,1 milliard en 2002 (Rapport TD, 2014). Il s’agit d’une augmentation du don annuel moyen de 803 $ en 2002 à 1 156 $ en 2012. Par ailleurs, l’Agence du revenu du Canada (ARC) estime que de 300 000 à 350 000 Canadiennes ont les capacités financières pour effectuer un don majeur de 10 000 $ ou plus à un organisme de bienfaisance. Au Québec, selon de récents sondages commandés par l’Institut Mallet (2018 ; 2019), hommes et femmes ont également donné leur temps en 2018 et bien que les hommes aient donné plus d’argent que les femmes (244 $ contre 155 $), ces dernières donnent de plus en plus d’argent et de biens depuis environ trois décennies.  

Très grandes fortunes, Melinda Gates et Priscilla Chan seulement ? 

Bien que Melinda Gates et Priscilla Chan soient les figures féminines de la philanthropie les plus connues actuellement, elles ne sont pas les seules. Sur la liste des milliardaires de la revue Forbes édition 2019, les femmes étaient au nombre de 244 sur un total de 2 153 inscriptions. Bien que ce nombre soit encore relativement faible, il s’agit pourtant d’un record historique avec une valeur collective de plus d’un billion de dollars. Dans cette liste se trouve majoritairement des héritières et épouses d’hommes fortunés. Toutefois, une troisième catégorie prend peu à peu de l’ampleur et ce malgré une légère baisse en 2019 : les femmes philanthropes autodidactes (self made, selon Forbes). Cette augmentation est à prendre au sérieux puisque cela nous informe qu’un plus grand nombre de femmes assumeront un rôle de décideur philanthropique clé : d’autant plus que, dans cette liste Forbes, 80 % des Américaines ont déjà créé leur propre Fondation. 

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Source: Forbes 2019

En Afrique, en Asie et en Inde, la philanthropie mise de l’avant par des femmes est émergente. Sur les 56 femmes citées par Forbes, 29 proviennent d’Asie-Pacifique (Chine, Hong Kong, Vietnam et Japon). Citons l’exemple de Madame Zhonghui You. Elle est fondatrice de la société de logiciels pédagogiques Shenzhen Seaskyland Technologies, et nouvelle incluse dans la liste des milliardaires engagés-es dans l’initiative du couple Bill et Melinda Gates et de Warren Buffet « Giving Pledge ». Cette dernière encourage les personnes les plus fortunées à dédier plus de la moitié de leur fortune à des fins philanthropiques.  

Toutefois, comme le déplore Al-Saqqar (2016) pour Women 4 Change, certaines femmes saisissent encore difficilement ce que signifie la vocation professionnelle de philanthrope. Cela s’explique notamment par le fait que, historiquement, elles étaient principalement confinées à des rôles en lien avec la collecte de fonds.

 

La course vers l’égalité des genres

Les conclusions du rapport Women Give 2010 Causes Women Support (Women’s Philanthropy Institute, 2010), de l’Étude sur les tendances en philanthropie au Québec en 2020 (Épisode, 2020) et du rapport intitulé La philanthropie au féminin (Institut Mallet, 2018) renforcent l’idée générale selon laquelle le genre a son importance dans la philanthropie. Les résultats démontrent que les femmes et les hommes sont engagés dans la communauté, mais sans pour autant être sensible aux mêmes causes ou aux mêmes méthodes de don. Les femmes semblent agir plus en concordance que les hommes avec leur capital social : comme leur éducation, leur communauté et leurs croyances religieuses (Einolf, 2011 ; T.D. Report, 2014). Les dons des femmes (montants et causes soutenues) sont moins soumis à la norme sociale établie par leur réseau d’appartenance que ceux des hommes qui s’y réfèrent davantage pour déterminer leurs pratiques philanthropiques (Meier, 2007). Les femmes voient également leur participation à des organismes de bienfaisance et leurs dons comme un moyen d’autonomisation grâce à la prise de décision démocratique (Cox et Deck, 2006 ; T.D. Report, 2014 ; WPI, 2016). Dans l’étude de 2016, le WPI souligne que les répondantes sont plus susceptibles de donner à certaines causes spécifiques liées aux femmes et aux filles, en lien avec : la violence domestique ; les droits des homosexuels, des bisexuels et des transgenres ; la recherche, le diagnostic et le soutien en matière de cancer (du sein, des ovaires, etc.) ; et les opportunités économiques pour les femmes et les filles. Ces tendances sont similaires pour les dons faits par des Canadiennes (Statistique Canada, 2012). 

En 2019, le Gouvernement du Canada a annoncé la création du Fonds pour l’égalité, un fonds visant à mieux soutenir les organismes canadiens et internationaux intervenant auprès de femmes. Les partenaires sont diversifiés (ONG, fondations philanthropiques, banques, gestionnaires de capital risque). Le Fonds prône des partenariats variés et des modèles financiers novateurs afin de mobiliser du financement d’organismes donateurs, de la communauté philanthropique ainsi que d’investisseurs. Il a pour objectif de fructifier les 300 millions $ de départ d’Affaires mondiales Canada, en plus d’un milliard de dollars à recueillir au cours des quinze prochaines années afin de favoriser l’égalité entre les genres au Canada et ailleurs dans le monde. Cette initiative prometteuse est à suivre puisque se mêlent différents enjeux : causes féminines à l’échelle canadienne et à l’échelle internationale ou encore le rôle de la philanthropie privée relativement aux questions et enjeux de développement. 

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Considérant la force financière croissante des femmes (Shaw et Taylor, 1995 et 2016), on comprend que leur intégration dans le secteur philanthropique représente un véritable enjeu. Elles y seront plus nombreuses et mobiliseront des moyens financiers de plus en plus importants. Les modèles des grandes fortunes philanthropes féminines vont également jouer un rôle influenceur majeur. À cela s’ajoutent également des motivations et valeurs en concordance avec la culture philanthropique : les femmes sont plus enclines à considérer l’argent comme un moyen de changer la société pour le mieux. Ce sont-là des prévisions intéressantes pour le secteur de la philanthropie à condition, d’abord, de sortir du profil générique d’engagement des donateurs établi par et pour des hommes, et ensuite, d’axer davantage la documentation de recherche sur les dons philanthropiques des femmes, car elle est encore globalement en retard par rapport à la réalité et à la pratique partout dans le monde. 


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Bibliographie

Alalouf-Hall, D. (2017, mars). Quel rôle pour les femmes dans la philanthropie subventionnaire canadienne et québécoise ? PhiLab. Montréal.

Al-Saqqar, S. (2016). Women’s Philanthropy: Characteristics, Trends and Patterns. Women for Change (W4C).

Balson, K. (2018). « Écart salarial entre les sexes : la répartition des rôles dans le secteur de la bienfaisance et des OSBL ». Imagine Canada.

Banque T.D. (2014). Time, Talent and Treasure: Canadian Women in Philanthropy.

Cohen, Y. (2010). Femmes philanthropes : catholiques, protestantes et juives dans les organisations caritatives au Québec 1880-1945. Montréal : Presses de l’Université de Montréal.